victimes attentat

(samedi 20 octobre 2002)
« Kadhafi n’est pas le seul fautif »
Rencontre. François Raveneau, frère du commandant du DC-10 d’UTA.
Interview : Le 19 septembre 1989, un D-10 d’UTA explosait au-dessus du désert du Niger causant la mort de 170 personnes, dont 53 Français. Le commandant de bord de cet avion, Georges Raveneau, était Martiniquais. Son frère témoigne.

François Raveneau :
"Je ne demande à la population de partager pleinement notre douleur et notre deuil, ce que je lui demande c'est de rester à l'écoute de tout ce qui se dit, ce qui se fait afin qu'elle ne se trouve pas dans la situation dans laquelle nous nous trouvons depuis traize ans"

 


Geaorges Raveneau, commandant de bord du DC-10 d'UTA.

Dix ans après cet attentat, six Lybiens étaient condamnés par les magistrats parisiens. Un mandat d’arrêt a été délivré à l’encontre de Ahmed Adballah Elazragh, Ibrahim Naeli, Arbas Musbah, Abdallah Senoussi, Issa Abdelsalam Shibani et Abdelsalam Hammouda El Ageli. Ils sont encore libres de tout mouvement dans leur pays.
Aujourd’hui, François Raveneau, le frère du commandant de bord sort de sa réserve. Il ne comprend pas la normalisation des relations entre Paris et Tripoli. Lundi, la réunion de la commission mixte franco-lybienne, destinée à revitaliser la coopération entre les deux pays, se réunira à Paris.

France-Antilles :
Un attentat douloureux en 1989, 170 victimes, dont 53 Français et votre frère, Georges Raveneau, le commandant de bord. Aujourd’hui, vous sortez de votre réserve,
pourquoi ?

François Raveneau : L’explication de cette réserve, c’est que j’avais décidé d’un commun accord avec un ami de rester extérieur aux parties civiles pour avoir les mains libres au cas où il y aurait quelque chose à faire pour défendre les intérês de ma famille dans cette affaire du DC-10. Nous nous apercevons au bout de treize ans que l’Etat français ne nous a pas aidés psychologiquement, ne nous a rien apporté de ce côté là, ne cherchant même pas à savoir si nous étions dans la rue, dans le ciel ou au dernier étage. Ce qu’ils ont fait est inadmissible. La France aujourd’hui commence à négocier de plus en plus de droits avec les Lybiens au niveau des échanges sans mettre au préalable _ si ce n’est que depuis le milieu de la semaine _ l’affaire du DC-10 d’UTA. Aujourd’hui on apprend une chose, c’est que ce DC-10 n’appartenait même pas à UTA mais à un homme d’affaires américain. Sur les 45 milliards de centimes versés par M.Kadhafi, 42 sont allés à Air France alors je me demande comment ce monsieur va rentrer dans ces fonds alors que l’avion n’appartenait pas à UTA qui a été racheté par Air France.


Une situation pénible, douloureuse depuis treize ans. Aujourd’hui le rapprochement entre

Paris et Tripoli semble raviver la colère des familles des victimes…
Nous sommes attristés et en colère car la France reste quand même un pays d’accueil, mais… On ne peut pas admettre que l’Etat français après n’avoir pas reconnu cet attentat comme tel _ parce que quand on prend la chronologie des choses _ le ministre des Transports de l’époque, M. Delebarre, avait parlé d’accident en recevan les familles par une porte dérobée aux Invalides. Ca, c’est vérifiable. Mais évidemment si on commence à nommer des gens, il y en aura bien d’autres à citer. Le ministre au lieu de parler d’attentat parlait d’accident. Lorsque l’on voit que nous n’avons pas eu d’aider et qu’à l’heure actuelle, la Lybie qui était déclarée pays ennemi se trouve au rang de pays ami, je trouve que la France exagère et n’a plus aucun respect pour les victimes de l’attentat de 1989.

Il semblerait que les pilotes français soient à nouveau montés au créneau pour dénoncer cette normalisation des relations avec Tripoli et notamment l’ouverture d’une ligne Paris-Tripoli.
C’est tout à fait exact mais il faut revenir en arrière. Quand il y a eu l’attentat du DC-10, la France n’a pas essayé non plus de comprendre comment ça avait pu se passer. C’est à dire que la France savait mais n’a pas jugé utile d’informer cette catégorie de personnels que sont les pilotes. Mon frère avait rédigé un rapport cinq mois avant l’attentat pour signaler des mesures de sécurité inefficaces au
départ des vols d’Afrique. Mais il a fallu pour les pilotes assumer et remonter en avion dès le lendemain de l’attentat et survoler l’Afrique et ce, dans une panique générale. Les compagnies aériennes comme UTAqui connaissent bien l’Afrique ont été totalement incapables de donner aux gens un renseignement sur ce qui s’était passé ou sur l politique de sécurité à venir alors qu’ils avaient réduit à peau de chagrin la sécurité et la vérification sur les vols depuis avril 1989 au moins. Il y a quand même quelque chose à revoir par la France vis à vis des victimes.

Treize ans après, les familles sont dans le flou malgré une condamnation de six Lybiens. Qu’attendent aujourd’hui les familles quand on sait que certaines se sont récemment alliées au propriétaire de l’avion pour déposer une plainte aux Etats-Unis contre Tripoli ? Quel sera le sens de votre action ?
Le sens de notre action est de revenir à notre idée première, celle que nous avons toujours soutenue dès le début. Nous pensons, en tout cas certaines familles, qu’il ne faut pas se servir du DC-10 comme fond de commerce. Je n’ai jamais dit qu’il ne fallait pas dédommager, mais entre avoir un dédommagement et se servir de cet attentat comme un fond de commerce, il y a un pas que nous ne franchirons jamais.

Vous semblez reprocher à l’Etat un manque de transparence et la normalisation de rapports entre la France et la Lybie.
Vous avez encore deux neveux qui pilotent, qu’attendez-vous encore
aujourd’hui ?
Je ne demande pas à la population de partager pleinement notre douleur et notre deuil, ce que je lui demande c’est de rester à l’écoute de tout ce qui se dit, ce qui se fait afin qu’elle ne se trouve pas dans la situation dans laquelle nous nous trouvons depuis treize ans et de nous faire noyauter ou acheter par l’Etat avec 20 000 F. Nous ne sommes pas là pour nous plaindre surtout qu’à l’heure actuelle, les gens sont convaincus que nous avons touché énormément d’argent. Ce n’est pas le cas. Si nous hurlons encore à l’heure actuelle , c’est parce qu’il y a non assistance à personne dans la douleur et ce n’est pas seulement une question d’argent. Je prends l’exemple de la femme de l’un des commandants de bord de ce sinistre vol qui à l’heure actuelle se trouve dans une détresse morale et financière immense. Ca, personne n’en parle

Vous n’en faites pas une question de gros sous. Pourtant, beaucoup ont évoqué les 45 Milliards et l’on a parlé d’indemnités versées aux familles. A t-on voulu « acheter » votre famille et son silence ? Vous met-on la pression pour que vous laissiez tomber cette affaire ?
Je peux prendre un exemple direct car dans ma famille, en l’occurrence mon neveu, s’il avait accepté, aurait touché 150 000 F. de M.Kadhafi. Il a refusé. De ses propres dires, il a refusé d’être acheté par M.Kadhafi car la distribution n’a pas été
fait par Kadhafi et c’est là où le bas blesse. M.Kadhafi n’est pas le seul fautif dans cette affaire puisque le système français le veut. Mais ça a bien arrangé l’Etat de se retrouver avec son système et nous laisser tomber en disant que c’est la loi qui le dit. Et l’Etat a renfloué sa compagnie avec les 42 milliards de Kadhafi, c’est ça qui m’attriste le plus.

Aujourd’hui vous sentez-vous menacé ou sous pression ?
Je crois que la pression est là et qu’elle monte encore. Par contre, menacé je n’en sais rien. Il y a par contre des choses troublantes qui se passent autour de moi et ça, je peux l’affirmer.

Dans quel état d’esprit êtres-vous aujourd’hui puisque vous avez décidé de sortir de la réserve que vous vous étiez auto-appliquée ?
Mon action ne sera pas solitaire mais elle sera concertée avec des gens de bonne volonté qui ne cherchent pas le DC-10 comme fond de commerce et qui ne recherchent pas une revanche absolue avec des mises à mort. Nous recherchons simplement la vérité et que notre douleur soi considérée autrment.
Jusqu’à quand resterez-vous accroché à ce combat ?
… Jusqu’à ce que je ferme les yeux.
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