Laurent MOSSU, Luc de BAROCHEZ
Comble de la dérision, la Libye a été élue
hier, pour un an, à la présidence la Commission
des droits de l'homme de l'ONU. Cet organe majeur des Nations
unies n'avait pas besoin de cela pour voir son autorité
morale, une nouvelle fois, battue en brèche. Le voilà
discrédité. Une large majorité de ses 53
membres a désigné hier l'ambassadeur de Tripoli
à Genève, Mme Najat al-Hajjaji, à une fonction
qui va bien au-delà des simples questions protocolaires.
C'est à elle qu'échoient l'organisation et la direction
des débats de la session annuelle, appelée à
passer en revue les atteintes portées aux libertés
fondamentales. Le pays du colonel Kadhafi, où les violations
des droits de l'homme sont légion, se retrouve en position
d'arbitre.
Les États-Unis ont tenté en vain d'empêcher
ce paradoxe en réclamant un vote à bulletin secret.
Traditionnellement, la nomination du président s'effectue
par acclamation. C'était la première fois qu'un
scrutin était organisé. L'initiative n'avait pourtant
aucune chance d'aboutir. Le tiers-monde était déterminé
à suivre le choix du groupe africain à qui revenait,
cette année, la présidence tournante. Au total,
33 voix se sont portées sur la Libye, 17 pays se sont abstenus
(dont, apparemment, la France) et 3 ont voté contre (États-Unis,
Canada et Guatemala).
Washington a voulu manifester sa désapprobation du choix
d'un pays « connu pour les violations répétées
des droits de l'homme et accusé de soutenir le terrorisme
». Les attentats téléguidés par Tripoli
contre des avions américains et français, qui ont
entraîné la mort de plusieurs centaines de personnes
dans les années 80, semblent cependant oubliés par
beaucoup.
La Fédération internationale des droits de l'homme
et Human Rights Watch ont également fait entendre leurs
objections. Plusieurs gouvernements européens, tout aussi
gênés, ont pourtant préféré
se réfugier dans l'abstention. Ils ont expliqué
en coulisse que la Libye souhaitait faire son retour sur la scène
internationale et qu'elle serait ainsi dans l'obligation de mettre
un frein à ses attitudes arbitraires. Le pari sur l'avenir
est d'autant plus justifié, à leurs yeux, que la
Libye souhaite l'an prochain obtenir un siège au Conseil
de sécurité de l'ONU. Elle aurait donc intérêt
à donner des gages.
La réaction du gouvernement de Tripoli, affirmant «
que cette victoire éclatante représentait une reconnaissance
mondiale historique du dossier vierge de la Libye dans le domaine
des droits de l'homme», augure pourtant mal de la suite
des événements. L'ambassadeur des États-Unis,
Kevin Moley, regrettait qu'on ait manqué une occasion «
de faire savoir que ceux qui violent les droits de l'homme ne
sont pas dignes d'occuper des positions morales et politiques
dans le système de l'ONU ».
Nombre de pays occidentaux ont eu peur, en affichant leur opposition,
de compromettre l'an prochain l'élection de l'un d'entre
eux à ce même poste. La présidence de la commission
reviendra alors en effet au groupe occidental. L'élection
ne pourra être acquise contre le tiers-monde.
Encadré : L'abstention de
la France
La France s'est abstenue hier lors de l'élection controversée
de la Libye à la tête de la Commission des droits
de l'homme de l'ONU. Quatorze ans après l'attentat contre
le vol d'UTA Brazzaville-Paris (170 morts), le vote confirme la
volonté française de tourner la page. Selon le Quai
d'Orsay, la décision de vote a été «
prise à quinze, dans un cadre européen ».
La France a aussi voulu respecter le choix des pays africains.
On peut supposer cependant que le souci de ménager l'influence
libyenne en Afrique fait partie des préoccupations de la
France, au moment où elle s'efforce de ramener le calme
en Côte d'Ivoire. L. de B.
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