Tripoli a qualifié le vote
de "victoire éclatante qui a rendu leurs droits aux
peuples opprimés". Les ONG réclament un débat
de fond pour sauver cette institution du discrédit total.
Genève de notre correspondante
La crédibilité de la Commission des droits de l'homme
(CDH) de l'ONU risque de prendre un nouveau coup avec l'élection,
lundi 20 janvier, de l'ambassadrice libyenne auprès des Nations
unies, Najat Al-Hajjaj, à sa présidence. Le groupe
des Etats africains, auquel revient cette année la présidence
tournante de la CDH, a en effet choisi, lors du dernier sommet de
l'Union africaine, à Durban, de présenter la Libye
à ce poste.
La désignation à cette présidence, qui a pour
fonction essentielle d'organiser les travaux de la session annuelle
(du 17 mars au 25 avril), se fait traditionnellement par acclamation.
Outrés par la candidature libyenne, les Américains
ont cette fois réclamé un vote, tout en étant
certains de le perdre : "Nous savons que le scrutin a peu de
chance de réussir, mais laisser le régime du colonel
Kadhafi s'emparer de la présidence de la CDH par "acclamation"
nous était insupportable", a déclaré un
diplomate américain à la veille de la réunion
de lundi.
Selon le porte-parole lybien des affaires étrangères,
Hassouna Al-Chaouh, l'élection de la Lybie à la majorité
des voix représente une "reconnaissance mondiale historique
du dossier vierge de la Lybie dans le domaine des droits de l'homme."
Mme Al-Hajjaji a été élue à 33 voix
pour présider la 59e session de la Commission qui compte
53 membres. Trois Etats ont voté contre cette candidature
et 17 se sont abstenus. M. Al-Chaouch a remercié les "pays
amis qui ont soutenu le droit et refusé les pressions, surtout
les pays arabes, islamiques et européens, notamment la France
et la Grande-Bretagne".
Le geste symbolique des Américains risquait d'être
considéré comme un "affront aux chefs d'Etat
africains". La prochaine session de la CDH menace, comme le
note un membre du secrétariat, "de se transformer en
une bataille sanglante entre le Nord et le Sud". Même
les ONG, qui déplorent que la CDH soit devenue "le club
des pays violeurs des droits de l'homme", estimaient que la
décision d'exiger un vote était "une bataille
perdue d'avance" et ne pouvait "qu'empoisonner encore
plus" l'atmosphère.
Une candidature de l'Arabie saoudite, guère plus vertueuse
en matière de droits de l'homme, aurait-elle fait l'objet
de la même contestation de la part de Washington, se demandaient
par ailleurs certains. "Nous n'avons pas de réponse",
avouent, gênés, des Américains, en admettant
ne s'être penchés sur la question de la présidence
de la CDH que depuis une semaine, alors qu'on savait depuis plus
de cinq mois qu'elle allait se poser. A la veille de la réunion
de lundi à Genève, seuls les Etats-Unis et le Canada
avaient annoncé leur intention de voter contre la Libye.
Les Européens devaient s'abstenir en bloc, les Africains,
ainsi que la grande majorité des pays asiatiques et d'Amérique
du Sud, voter pour Tripoli.
C'est la première fois qu'un pays qui fait l'objet de sanctions
des Nations unies est appelé à prendre la présidence
d'un organe censé surveiller le respect des droits de l'homme
dans le monde. Le régime du colonel Kadhafi est accusé
d'avoir commandité l'attentat perpétré en 1988
contre le vol 103 de la PanAm au-dessus de Lockerbie. La droite
américaine ne manquera pas de réclamer la suppression
de tout subside à un organe "dirigé par les régimes
terroristes".
SILENCE EMBARRASSÉ
Comment éviter ce genre de mésaventures à la
Commission ? Une fois de plus, silence embarrassé du côté
américain : "Nous n'avons pas encore abordé le
sujet." Seules à s'être penchées sur l'avenir
de la Commission, les ONG réclament depuis deux ans l'instauration
de "critères" d'admission pour les pays souhaitant
en devenir membres. La ratification des principales conventions
internationales dans le domaine des droits de l'homme pourrait faire
partie de ces critères, tout comme l'accueil des rapporteurs
des droits de l'homme.
Mais ces deux conditions excluraient les Etats-Unis, et, comme le
note un diplomate, "les deux tiers des pays membres de l'ONU".
Le vrai problème, estiment les experts onusiens, est la tendance
de plus en plus affirmée à voter par blocs de pays.
L'année dernière, une coalition de pays africains,
asiatiques et musulmans a ainsi permis à plusieurs pays,
dont la Russie, la Chine et l'Iran d'échapper à toute
condamnation de la Commission.
En signe de bonne volonté, l'ambassadrice de Libye devait
recevoir, pour son premier rendez-vous en tant que présidente,
l'ambassadeur d'Israël à l'ONU qu'elle avait toujours
refusé de rencontrer auparavant. Le secrétaire général
Kofi Annan a demandé au haut-commissaire pour les droits
de l'homme, le Brésilien Sergio Vieira de Mello, d'interrompre
sa tournée en Afrique centrale pour être présent
lors du vote, lundi, à Genève. Les ONG comptent beaucoup
sur son aide pour que s'ouvre enfin un débat de fond sur
la CDH.
Afsané Bassir Pour Le Monde.
o ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21.01.03 |