victimes attentat

victimes attentat
(Mardi 21 janvier 2003)

La Libye présidera
la Commission des droits de l'homme de l'ONU

Tripoli a qualifié le vote de "victoire éclatante qui a rendu leurs droits aux peuples opprimés". Les ONG réclament un débat de fond pour sauver cette institution du discrédit total.
Genève de notre correspondante
La crédibilité de la Commission des droits de l'homme (CDH) de l'ONU risque de prendre un nouveau coup avec l'élection, lundi 20 janvier, de l'ambassadrice libyenne auprès des Nations unies, Najat Al-Hajjaj, à sa présidence. Le groupe des Etats africains, auquel revient cette année la présidence tournante de la CDH, a en effet choisi, lors du dernier sommet de l'Union africaine, à Durban, de présenter la Libye à ce poste.
La désignation à cette présidence, qui a pour fonction essentielle d'organiser les travaux de la session annuelle (du 17 mars au 25 avril), se fait traditionnellement par acclamation. Outrés par la candidature libyenne, les Américains ont cette fois réclamé un vote, tout en étant certains de le perdre : "Nous savons que le scrutin a peu de chance de réussir, mais laisser le régime du colonel Kadhafi s'emparer de la présidence de la CDH par "acclamation" nous était insupportable", a déclaré un diplomate américain à la veille de la réunion de lundi.
Selon le porte-parole lybien des affaires étrangères, Hassouna Al-Chaouh, l'élection de la Lybie à la majorité des voix représente une "reconnaissance mondiale historique du dossier vierge de la Lybie dans le domaine des droits de l'homme." Mme Al-Hajjaji a été élue à 33 voix pour présider la 59e session de la Commission qui compte 53 membres. Trois Etats ont voté contre cette candidature et 17 se sont abstenus. M. Al-Chaouch a remercié les "pays amis qui ont soutenu le droit et refusé les pressions, surtout les pays arabes, islamiques et européens, notamment la France et la Grande-Bretagne".
Le geste symbolique des Américains risquait d'être considéré comme un "affront aux chefs d'Etat africains". La prochaine session de la CDH menace, comme le note un membre du secrétariat, "de se transformer en une bataille sanglante entre le Nord et le Sud". Même les ONG, qui déplorent que la CDH soit devenue "le club des pays violeurs des droits de l'homme", estimaient que la décision d'exiger un vote était "une bataille perdue d'avance" et ne pouvait "qu'empoisonner encore plus" l'atmosphère.
Une candidature de l'Arabie saoudite, guère plus vertueuse en matière de droits de l'homme, aurait-elle fait l'objet de la même contestation de la part de Washington, se demandaient par ailleurs certains. "Nous n'avons pas de réponse", avouent, gênés, des Américains, en admettant ne s'être penchés sur la question de la présidence de la CDH que depuis une semaine, alors qu'on savait depuis plus de cinq mois qu'elle allait se poser. A la veille de la réunion de lundi à Genève, seuls les Etats-Unis et le Canada avaient annoncé leur intention de voter contre la Libye. Les Européens devaient s'abstenir en bloc, les Africains, ainsi que la grande majorité des pays asiatiques et d'Amérique du Sud, voter pour Tripoli.
C'est la première fois qu'un pays qui fait l'objet de sanctions des Nations unies est appelé à prendre la présidence d'un organe censé surveiller le respect des droits de l'homme dans le monde. Le régime du colonel Kadhafi est accusé d'avoir commandité l'attentat perpétré en 1988 contre le vol 103 de la PanAm au-dessus de Lockerbie. La droite américaine ne manquera pas de réclamer la suppression de tout subside à un organe "dirigé par les régimes terroristes".
SILENCE EMBARRASSÉ
Comment éviter ce genre de mésaventures à la Commission ? Une fois de plus, silence embarrassé du côté américain : "Nous n'avons pas encore abordé le sujet." Seules à s'être penchées sur l'avenir de la Commission, les ONG réclament depuis deux ans l'instauration de "critères" d'admission pour les pays souhaitant en devenir membres. La ratification des principales conventions internationales dans le domaine des droits de l'homme pourrait faire partie de ces critères, tout comme l'accueil des rapporteurs des droits de l'homme.
Mais ces deux conditions excluraient les Etats-Unis, et, comme le note un diplomate, "les deux tiers des pays membres de l'ONU". Le vrai problème, estiment les experts onusiens, est la tendance de plus en plus affirmée à voter par blocs de pays. L'année dernière, une coalition de pays africains, asiatiques et musulmans a ainsi permis à plusieurs pays, dont la Russie, la Chine et l'Iran d'échapper à toute condamnation de la Commission.
En signe de bonne volonté, l'ambassadrice de Libye devait recevoir, pour son premier rendez-vous en tant que présidente, l'ambassadeur d'Israël à l'ONU qu'elle avait toujours refusé de rencontrer auparavant. Le secrétaire général Kofi Annan a demandé au haut-commissaire pour les droits de l'homme, le Brésilien Sergio Vieira de Mello, d'interrompre sa tournée en Afrique centrale pour être présent lors du vote, lundi, à Genève. Les ONG comptent beaucoup sur son aide pour que s'ouvre enfin un débat de fond sur la CDH.
Afsané Bassir Pour Le Monde.
o ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21.01.03
Retour au menu presse 2003