L comme Libye : au chapitre concerné,
dans tous les rapports des organisations de défense des droits
de l'homme, le bilan est accablant. D'Amnesty International à
Human Rights Watch, le régime du colonel Mouammar Kadhafi
est, année après année, décrit comme
une impitoyable dictature. Les libertés publiques y sont
inexistantes ; les opposants écrasés, parfois déclarés
"disparus", embastillés incognito, quand ils ne
sont pas pourchassés et assassinés à l'étranger.
Le régime a sans doute parrainé certaines des opérations
terroristes les plus meurtrières de la fin des années
1980 attentat perpétré contre le vol 103 de
la PanAm au-dessus de l'Ecosse, en 1988, celui commis contre un
DC-10 d'UTA l'année suivante, notamment. Le système
de pouvoir y est aussi opaque qu'un vent de sable dans le désert.
Il est fondé sur le secret, l'intimidation ; entièrement
aux mains d'un groupe opérant derrière une façade
d'institutions purement formelles.
Ce régime vient de se voir attribuer la présidence
de la commission des droits de l'homme de l'ONU (CDH) à Genève.
Le vote s'est déroulé, lundi 20 janvier, à
bulletins secrets. La candidature de la Libye avait été
présentée mauvais présage il
y a plusieurs mois lors du sommet de Durban, tristement célèbre
pour les éructations de haine antisémite qu'on y a
entendues. C'est le groupe des Etats africains à l'ONU qui
a avancé la candidature de la Libye. Des positions défendues
par les uns et les autres avant lundi, on peut reconstituer ce qu'a
été le scrutin : les pays représentant le "Sud"
Cuba, Soudan, Algérie ont voté pour
la Libye ; les sept pays représentant l'Union européenne
se sont courageusement abstenus ; les Etats-Unis et le Canada, notamment,
ont voté contre.
L'événement serait clownesque (la CDH s'est déconsidérée
depuis longtemps) s'il n'était aussi grave et lourd de conséquences
dans les circonstances actuelles. Car voilà une nomination
qui affecte, dans l'opinion, la crédibilité de l'ONU
au moment où l'organisation doit jouer un rôle majeur
dans la crise irakienne. Voilà une nomination qui intervient
alors que certains comme la France défendent
que seule l'ONU a le crédit moral et légal pour dire
le droit dans l'affaire irakienne. On imagine déjà
la manière dont certains des "faucons" de l'administration
Bush pourront se saisir de cet épisode peu glorieux pour
amoindrir l'autorité de l'ONU.
Il y a peut-être plus dangereux encore. La désignation
de la Libye à la présidence de la CDH révèle
un fonctionnement de l'ONU où, de nouveau, s'opposent systématiquement
deux blocs. On croyait être sorti de cette logique binaire
qui avait paralysé l'organisation durant toute la guerre
froide. Or deux blocs antagonistes se sont reconstitués.
Sur les droits de l'homme, la justice internationale, le droit d'ingérence,
la défense de l'environnement, le Sud, quasi mécaniquement,
s'oppose au Nord (la Chine et la Russie s'abstenant ou soutenant
le Sud au gré des votes). Au-delà de l'affaire de
Genève, cette nouvelle logique des blocs est une évolution
inquiétante.
o ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.01.03 |