Genève de notre correspondante
Depuis que la Libye a été désignée,
lundi 20 janvier, pour présider la 59e session de la Commission
des droits de l'homme de l'ONU à Genève, le téléphone
portable de l'ambassadrice Najat Al-Ajjaji ne cesse de sonner. Chaque
fois, après avoir longuement répondu en arabe, la
représentante de la Libye s'excuse : "Vous comprenez,
les gens veulent me féliciter pour mon élection."
Peu importe si "élection" n'est peut-être
pas le mot juste, étant donné qu'il n'y avait pas
d'autre candidat, peu importe que sa nomination soit à l'origine
d'une grave controverse à la Commission, que les Américains
s'en indignent, que les associations de défense des droits
de l'homme la déplorent : Najat Al-Ajjaji est aux anges.
Cette présidence est l'aboutissement de ses rêves :
"Je suis un très grand défenseur des droits de
l'homme, c'est tout ce que j'ai voulu faire dans ma vie : la promotion
des droits de l'homme dans mon pays et partout dans le monde",
déclare-t-elle, radieuse, dans la belle villa au bord du
lac Léman qui est le siège de la mission libyenne.
Lorsqu'on fait valoir que son pays est plutôt réputé
pour ses violations flagrantes des droits de l'homme, Mme Al-Ajjaji
proteste : "Je conteste fermement cette affirmation. Il y a
peut-être des policiers en Libye qui donnent parfois des gifles
à des détenus dans les commissariats... Aucun pays
n'est complètement innocent, mais je le répète
: il n'y a pas de violation systématique des droits de l'homme
en Libye." Et pour avoir raison de toute incrédulité,
elle enchaîne : "Il suffit de consulter les dossiers
de la Commission des droits de l'homme ces dix dernières
années. Vous verrez que la Libye n'a été que
très rarement critiquée, alors que les Américains
l'ont été à chaque ordre du jour de chaque
session."
Le problème est précisément que si les Américains
sont de plus en plus dans la ligne de mire de la Commission, des
régimes responsables de violations graves des droits de l'homme
le sont de moins en moins. La CDH est devenue, selon les ONG, "le
club des pays violeurs". La pratique qui s'est instaurée
est celle du vote en bloc d'un certain nombre de pays membres pour
s'opposer à toute condamnation chaque fois qu'un Etat est
accusé de violations. L'ambassadrice libyenne en convient,
mais elle ajoute : "Ce sont les pays du Nord qui ont créé
le problème. Ils étaient devenus les juges et les
pays du Sud les accusés."
Mme Al-Ajjaji ne dit pas ce qu'elle entend faire pour combler le
fossé : elle ne peut pas en parler avant d'avoir consulté
les pays membres à l'ouverture de la session, le 17 mars
prochain. L'idée avancée par les ONG d'instaurer des
critères d'admission au sein de la Commission n'a en tout
cas pas son soutien : ces critères ne pourraient qu'"accroître
les divisions entre les bons et les méchants", estime-t-elle.
Les ONG réclament plus que jamais à la Libye d'accueillir
les experts de la Commission des droits de l'homme, ce que Tripoli
a toujours refusé. Sur ce point, l'ambassadrice reste vague
: "Je pense que les autorités libyennes sont en train
d'étudier la question."
Malgré ses propos parfois diplomatiquement malhabiles, Mme
Al-Ajjaji est plutôt respectée par ses pairs. Ancienne
épouse d'un homme "très proche de Mouammar Kadhafi",
cette jolie femme brune, élégante, vit à Genève
depuis dix ans. Après des études de journalisme à
l'université du Caire, elle a été correspondante
en Egypte puis directrice des relations extérieures de l'Agence
de presse libyenne.
Nommée ministre plénipotentiaire à la Mission
permanente de la Libye en 1993, elle est devenue chargée
d'affaires en 1998 et ambassadeur en octobre 2002.
Peut-on être à la fois proche du pouvoir à Tripoli
et défenseur des droits de l'homme ? Il faudra attendre les
six semaines de sa présidence, au printemps prochain, pour
répondre. Les ONG ne désespèrent pas que celle-ci
puisse influencer utilement Tripoli. Genève est prête
à accorder le bénéfice du doute à Mme
Al-Ajjaji.
Afsané Bassir Pour
o ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 23.01.03 |