victimes attentat

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(Mardi 4 février 2003)

LIBYE
Le président libyen, grand pourvoyeur de devises, n'est pas absent des conflits de l'Afrique de l'Ouest
Kadhafi se rêve en parrain du continent

Pierre Prier

Ce ne sera sans doute pas encore pour cette fois. Muammar Kadhafi ne devrait pas obtenir du sommet extraordinaire de l'Union africaine, qui a clôturé ses travaux hier soir à Addis-Abeba au terme de 24 heures – au lieu des 48 initialement prévues –, l'instauration d'un poste de président africain, élu pour plusieurs années. Kadhafi voulait un président de l'Union qui «ne soit pas un chef d'Etat ou de gouvernement en exercice». Les leaders africains ont lu entre les lignes. Kadhafi ne porte-t-il pas le titre de «Guide» de la révolution libyenne, qui fait de lui une sorte d'inspirateur hors hiérarchie ?
Muammar Kadhafi, nul n'en doute, reviendra à la charge. Depuis qu'il a abandonné l'ambition de devenir le nouveau Nasser, le leader libyen entretient un rêve de remplacement : réaliser la vision de Kwame Nkrumah, le président ghanéen chantre de l'unité africaine dans les années 60. «Les idées de Nkrumah étaient bonnes. J'aurais souhaité que les Africains les suivent à la lettre», avait-il déclaré au Figaro à la veille de sa campagne pour créer les «Etats-d'Unis d'Afrique».

Kadhafi proclamait dans la foulée : «L'Afrique est mon milieu naturel. Les Arabes d'Afrique sont africains, alors que les Arabes de la péninsule arabique sont asiatiques.»
Le colonel Kadhafi songe toujours à un «bloc africain» qui discuterait d'égal à égal avec les Etats-Unis et l'Europe. Sous son impulsion, l'Organisation de l'union africaine (OUA) a fait place en juillet 2002 à l'Union africaine. Mais le rêve des Etats-Unis d'Afrique est encore loin. Les chefs d'Etat tiennent à leurs frontières. Les puissances régionales émergentes, comme l'Afrique du Sud, souhaitent consolider leur influence sur le continent. Pour le Guide, en revanche, l'Union créée à Syrte n'était qu'une ébauche. A peine la réunion était-elle terminée qu'il convoquait à Tripoli, en août 2002, une série de spécialistes du droit constitutionnel pour les faire plancher sur des amendements à la nouvelle charte.

En attendant, l'Afrique lui a déjà permis de retrouver une respectabilité internationale. Les Africains ont été les premiers, en 1998, à briser l'embargo aérien imposé par l'ONU. Le Guide compte aussi sur son nouveau projet pour effacer son passé de supporter de toutes les causes révolutionnaires de par le monde, lui évitant ainsi de se retrouver du mauvais côté de l'«axe du Mal» de George Bush.

L'ex-financier des groupes armés internationaux se voit maintenant volontiers en parrain bienveillant et pacifique de l'Afrique. «Le terrorisme, c'est fini», résumait sans détour, en 1999, le directeur de cabinet de Kadhafi, Béchir Salah Béchir. «Aujourd'hui, on peut jeter le fusil pour mettre en oeuvre la paix et le développement. Voilà mon rôle», disait le Guide lui-même.
Certains, en France, ont un temps rêvé d'un partenariat réunissant les colossales ressources financières du pétrole libyen et le savoir-faire des coopérants français. Mais l'aide libyenne est restée plus traditionnelle. Les présidents africains qui défilent à Tripoli savent qu'ils en repartiront moins pauvres. «Le tarif, c'est souvent 30 millions de dollars à la première visite, quelques millions aux suivantes», dit le représentant d'un mouvement rebelle qui a bien connu les coulisses de Tripoli.

Dans le petit monde de l'Afrique francophone, on s'amuse à compter les visites en Libye des présidents. Recordman : un chef d'Etat d'un pays sahélien qui a récemment quitté le pouvoir, après avoir fait en cinq ans une quarantaine de fois le voyage de Tripoli. Les subsides ne servent pas toujours à renflouer les caisses personnelles. Muammar Kadhafi a financé toutes les élections récentes d'Afrique de l'Ouest, aidant les présidents sortants comme leurs adversaires, chacun à la hauteur du degré de sympathie de Tripoli. Pour d'autres Etats, l'argent libyen est une question de survie. Le Togo du général Eyadéma, sous embargo européen depuis 1993 pour la piètre qualité de ses élections, se porterait beaucoup plus mal sans la générosité du colonel.

Mais la réalité a la vie dure. Malgré sa volonté d'apparaître en faiseur de paix, la Libye n'a pas partout renoncé à son activisme d'antan, surtout en Afrique de l'Ouest et du centre. Au Tchad, théâtre de tentatives d'invasion libyennes repoussées par les Français dans les années 80, Kadhafi a entretenu ces dernières années un mouvement rebelle dans le Nord, jouant avec les nerfs du président tchadien Idriss Déby. Celui-ci s'est récemment rendu à Tripoli, où il aurait obtenu de Muammar Kadhafi qu'il empêche le congrès du MDJT (Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad). Muammar Kadhafi s'est ainsi une fois de plus posé en médiateur indispensable... De l'autre côté du Tchad, en Centrafrique, il envoie en 2002 deux cents soldats libyens protéger le président Ange-Félix Patassé, d'un éventuel coup d'Etat. Officiellement, les Libyens sont aujourd'hui rentrés, mais leur départ a coïncidé l'entrée en Centrafrique des troupes d'un protégé de Kadhafi, le MLC de Jean-Pierre Bemba, le rebelle congolais qui tient l'Equateur, une partie du Congo ex-Zaïre, dépecé par ses voisins depuis la mort de Mobutu.

Plus à l'Ouest, Muammar Kadhafi n'est pas absent du conflit ivoirien. Les armes et les véhicules reçus par les rebelles n'ont pas pu être achetés par le modeste Burkina-Faso, le pays frontalier. Mais le président burkinabé Blaise Compaoré a toujours entretenu de bonnes relations avec la Libye. Des armes ont souvent transité par Ouagadougou à destination de divers mouvements, comme celui du président libérien Charles Taylor, à l'époque où il n'était qu'un chef de guerre brutal. Les rebelles sierra-léonais du RUF, adeptes du découpage de membres à la machette, ont eux aussi profité longtemps de l'arrangement.
Ces manigances kadhafiennes en Afrique n'ont pas toujours déplu à Paris. «On a parfois l'impression que Kadhafi va où les Français ne vont plus», dit un connaisseur du dossier. Parfois même, le financement libyen a été vu d'un bon oeil en France. Les journalistes se souviennent de cet ambassadeur français qui facilitait les contacts avec le rebelle Taylor, ami de la France dans un pays anglophone, aujourd'hui président et reçu à l'Elysée.

La France tient d'ailleurs à garder ses bonnes relations avec la Libye. En 1999, la page a été rapidement tournée après la condamnation de six Libyens reconnus coupables de l'explosion en vol du DC- 10 d'UTA en 1989. L'un des condamnés n'était autre que le beau-frère du colonel, à l'époque chef de services secrets. Et au Tchad, les menées récentes de Muammar Kadhafi n'ont pas mis en danger la présence de 1 000 soldats français. Le colonel libyen semble très bien connaître l'emplacement de la ligne jaune invisible au-delà de laquelle il gênerait les intérêts français.

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