Si
Kaddafi lâche du lest dans le règlement de l'affaire
de Lockerbie,
c'est qu'il redoute d'être la prochaine cible de George
W. Bush.
Mouammar Kaddafi est convaincu d'être, après Saddam
Hussein, l'une des prochaines cibles de George W. Bush (voir J.A.I.
n° 2200). Mais il s'efforce de retourner la situation en sa
faveur. Tout en dénonçant la volonté dominatrice
des États-Unis, notamment lors de son dernier périple
africain (Niamey, Bamako, et Ouagadougou), du 14 au 18 mars, il
multiplie les opérations de charme. Son meilleur atout
est sans doute... les compagnies pétrolières américaines.
Depuis leur départ forcé, en 1981, celles-ci n'ont
en effet jamais renoncé à revenir en Libye, où
le pétrole est abondant et facile à extraire, donc
peu onéreux.
Sauf retournement de situation imprévisible, tout semble
indiquer que la « guerre » qui oppose les deux pays
depuis trente ans (voir encadré) est en voie de règlement,
dès lors que le principal point du contentieux - l'attentat
de Lockerbie, en 1988 - l'est aussi. Jim Swire, le porte-parole
des victimes, l'a confirmé, le 11 mars : les deux parties
« semblent être parvenues à un accord ».
Le même jour, des négociations secrètes avaient
eu lieu, à Londres, entre William Joseph Burns, l'adjoint
au secrétaire d'État américain, et Mohamed
el-Zwaï, l'ambassadeur de la Jamahiriya au Royaume-Uni...
Autre signal encourageant : la lettre adressée par Seïf
el-Islam Kaddafi à Chas W. Freeman Jr., un ancien secrétaire
adjoint à la Défense (1993-1994) qui préside
aujourd'hui le Middle East Policy Council (voir J.A.I. n°
2201). Le fils du Guide, qui a accepté que son texte soit
publié dans la revue trimestrielle de ce think-tank, y
dresse le bilan des tumultueuses relations américano-libyennes
depuis 1969. Comme si la « hache de guerre » était
sur le point d'être enterrée... Il explique les affrontements
du passé par la fougue révolutionnaire de son père,
exacerbée par le quadruplement des revenus pétroliers
(1973), la lutte contre le colonialisme (Kaddafi a aidé
d'innombrables mouvements de libération, en Afrique et
ailleurs) et la guerre froide, et confirme l'abandon définitif
du terrorisme et la volonté libyenne de renouer avec le
« grand frère » américain.
Reprenant à son compte une proposition avancée
le 11 mars à Londres, le successeur présumé
du Guide de la Jamahiriya annonce la création d'un «
fonds de la paix » doté d'un capital de départ
de 2,7 milliards de dollars, somme versée par le gouvernement
libyen sur un compte bancaire, dans un pays neutre. Plusieurs
compagnies libyennes et américaines devraient être
associées à l'opération, destinée
à indemniser les 270 victimes (dont 189 américaines)
de l'attentat de Lockerbie.
En mai 2002, le gouvernement libyen s'était déjà
engagé à verser 10 millions de dollars à
chaque ayant droit, mais en trois tranches et selon un calendrier
compliqué : 4 millions après la levée définitive
des sanctions onusiennes, 4 millions après l'annulation
des sanctions américaines et 2 millions après la
radiation de la Libye de la liste des « États soutenant
le terrorisme ». Il ne s'agissait en outre que d'une promesse
: les familles des victimes n'avaient aucune garantie quant au
versement des deux dernières tranches. Le gouvernement
américain a donc refusé de s'engager sur une date.
Pis encore, George W. Bush a froidement reconduit les sanctions
et exigé de l'État libyen une reconnaissance écrite
de sa responsabilité dans l'attentat.
La proposition rendue publique par Seïf el-Islam apporte
une nouveauté importante : la Libye admet enfin «
sa responsabilité civile ». En d'autres termes, elle
reconnaît l'implication de « citoyens libyens »,
mais pas celle du gouvernement. C'est parce que l'un de ses ressortissants
a été reconnu coupable et condamné qu'elle
accepte de verser des compensations financières aux familles
des victimes, dans l'espoir, précise Kaddafi Jr., de mettre
un terme à « cette pénible affaire ».
Le projet d'accord mis au point par William Burns et Mohamed
el-Zwaï entérine le principe de cette compensation
et en facilite l'exécution : le paiement se fera en deux
tranches de 5 millions de dollars, l'une après la levée
des sanctions onusiennes, l'autre après celle des sanctions
américaines. En échange de la reconnaissance explicite
de la responsabilité civile libyenne, les États-Unis
et les ayants droit des victimes s'engagent pour leur part à
renoncer à toute espèce de poursuite judiciaire.
Par ailleurs, Seïf el-Islam espère le rétablissement
de relations diplomatiques normales entre les deux pays (interrompues
en 1981). Devançant les voeux des Américains, il
va jusqu'à leur proposer de venir vérifier sur place
- à Rabta, Tarhouna ou ailleurs - l'absence de toute arme
de destruction massive.
Colin Powell, le secrétaire d'État américain,
reste néanmoins très circonspect. Le 19 mars, il
a estimé que « les négociations sont encore
délicates ». Selon lui, aucune normalisation n'est
envisageable avant la destruction par la Libye de ses armements
chimiques et biologiques.
Samir Gharbi
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