victimes attentat

(Mercredi 28 mai 2003)

DC 10 de l’UTA
Combat contre l’oubli
Jean-Célestin Edjangue

Un Camerounais a perdu sa famille dans l’attentat et se bat pour obtenir justice.

 

“Il faut que justice soit faite. Je veux dire que la Libye, qui a été reconnue coupable, au terme d’un procès par contumace, en 1999 en France, paie. Même si ça ne ramènera pas les membres de ma famille à la vie”. Mana Toukour, directeur général de la Compagnie commerciale, pour l’exportation des produits tropicaux, est inconsolable. Voilà près de 15 ans qu’il se bat, au nom des membres de sa famille disparus dans l’attentat de l’avion Dc 10 de la compagnie Uta, sur le désert du Ténéré au Niger. Le vol UT 772 qui assurait alors la ligne Brazzaville-Ndjamena-Paris, avait explosé en plein vol le 19 septembre 1989, faisant 170 morts, dont 9 Camerounais. Parmi ces derniers, toute une famille, celle de Mana Toukour. “J’ai perdu ma femme, mes quatre enfants et la cousine de ma femme dans l’attentat”, raconte-t-il.
Depuis, l’affaire était suivie par la justice française, qui a condamné la Libye par contumace, reconnaissant l’implication directe de six de ses citoyens. Ce sont ces 6 Libyens qui ont été condamnés à vie par la Cour d’assises de Paris, en 1999. Parmi les 6, un beau-frère du colonel Kadhafi, un certain Abdallah Senoussi.

Le ministre des Relations extérieures saisi
“J’ai adressé un courrier au ministre d’Etat chargé des Relations extérieures, début mai, pour demander une relance de l’affaire. On a l’impression que le sort des Africains est moins préoccupant que celui des Européens morts dans l’attentat du vol de Pan Am sur Lockerbie”, constate encore Mana Toukour. De fait, les familles des victimes de l’attentat contre le vol Pan Am, en 1988, dans lequel la Libye était également impliquée, ont obtenu via un accord d’être indemnisées à hauteur de 10 millions de dollars par victime. L’explosion du Boeing de la Pan Am, au-dessus du village écossais de Lockerbie, avait fait 270 morts dont 259 passagers américains. Un agent libyen, Abdel Basset Al-Magrahi, avait été condamné par un tribunal spécial américain en 2001. Et s’il salue la perspicacité de la justice américaine et l’opiniâtreté des juges français, Mana Toukour déplore en revanche le laxisme des autorités africaines, qui ne donnent pas l’impression de tout mettre en oeuvre pour faire payer la Libye.

Moyens de pression

Si les Américains et les Britanniques ont fait reconnaître aux Libyens leur responsabilité directe dans l’attentat du vol Pan Am, c’est surtout parce qu’ils disposaient d’énormes moyens de pression pour faire plier l’Etat libyen. Au chapitre de ces moyens de pression, il y a la possibilité de lever les sanctions décrétées à l’encontre de Tripoli par l’Onu et les Etats-Unis. “Tripoli s’engagerait à verser une somme de quatre millions de dollars par victime une fois que les sanctions de l’Onu seront officiellement levées et quatre autres millions de dollars si les Etats-Unis lèvent à leur tour leurs propres sanctions. Deux millions enfin si Washington retire son «Iran-Libya sanctions Act.» par ailleurs, si les Etats-Unis ne lèvent pas leurs sanctions dans les huit mois, la Libye ne versera qu’un million de dollars supplémentaire”, indique une dépêche de l’agence Reuters du 16 mars 2003. Et l’Afrique? Elle n’a malheureusement pas eu la même veine : pas de moyens de pression pour forcer la Libye à faire amende honorable et donc à accepter d’indemniser les familles des victimes. A moins que, le retour en force de Tripoli sur la scène internationale par le sport, ne donne enfin matière à agir dans ce sens. “Le fils de Kadhafi veut se présenter aux élections de la présidence de la Confédération africaine de football (Caf) - peut-être que nos gouvernements africains devraient sauter sur l’occasion pour rappeler à Tripoli son implication directe dans l’attentat du Dc 10 de l’Uta”, espère Mana Toukour, convaincu que son combat est des plus dignes. Puisqu’il s’agit avant tout de faire reconnaître officiellement que les 170 victimes de l’attentat du vol Dc 10 de l’Uta, en 1989, ne sont pas morts par accident; mais bien par la faute des citoyens libyens.
Cela dit, l’attitude des gouvernements africains et camerounais en particulier, dans cette affaire souligne gravement l’impuissance de nos hommes politiques face à la vigueur des Etats occidentaux : les procès de l’attentat de Lockerbie, où une personne condamnée est en prison, les familles indemnisées à 10 millions de dollars par victime, et celui du Dc 10 de l’Uta, par contumace, avec 6 condamnés (dont Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi) en liberté, et des indemnités de 3 à 30 milles euros au titre de préjudice moral, selon le lien de parenté des ayant-droits, sont significatifs de ce déséquilibre.
Une telle différence ne peut perdurer. Ne serait-ce que pour la mémoire des victimes et de leurs familles.


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