“Il faut que justice soit
faite. Je veux dire que la Libye, qui a été reconnue
coupable, au terme d’un procès par contumace, en
1999 en France, paie. Même si ça ne ramènera
pas les membres de ma famille à la vie”. Mana Toukour,
directeur général de la Compagnie commerciale, pour
l’exportation des produits tropicaux, est inconsolable.
Voilà près de 15 ans qu’il se bat, au nom
des membres de sa famille disparus dans l’attentat de l’avion
Dc 10 de la compagnie Uta, sur le désert du Ténéré
au Niger. Le vol UT 772 qui assurait alors la ligne Brazzaville-Ndjamena-Paris,
avait explosé en plein vol le 19 septembre 1989, faisant
170 morts, dont 9 Camerounais. Parmi ces derniers, toute une famille,
celle de Mana Toukour. “J’ai perdu ma femme, mes quatre
enfants et la cousine de ma femme dans l’attentat”,
raconte-t-il.
Depuis, l’affaire était suivie par la justice française,
qui a condamné la Libye par contumace, reconnaissant l’implication
directe de six de ses citoyens. Ce sont ces 6 Libyens qui ont
été condamnés à vie par la Cour d’assises
de Paris, en 1999. Parmi les 6, un beau-frère du colonel
Kadhafi, un certain Abdallah Senoussi.
Le ministre des Relations extérieures
saisi
“J’ai adressé un courrier au ministre d’Etat
chargé des Relations extérieures, début mai,
pour demander une relance de l’affaire. On a l’impression
que le sort des Africains est moins préoccupant que celui
des Européens morts dans l’attentat du vol de Pan
Am sur Lockerbie”, constate encore Mana Toukour. De fait,
les familles des victimes de l’attentat contre le vol Pan
Am, en 1988, dans lequel la Libye était également
impliquée, ont obtenu via un accord d’être
indemnisées à hauteur de 10 millions de dollars
par victime. L’explosion du Boeing de la Pan Am, au-dessus
du village écossais de Lockerbie, avait fait 270 morts
dont 259 passagers américains. Un agent libyen, Abdel Basset
Al-Magrahi, avait été condamné par un tribunal
spécial américain en 2001. Et s’il salue la
perspicacité de la justice américaine et l’opiniâtreté
des juges français, Mana Toukour déplore en revanche
le laxisme des autorités africaines, qui ne donnent pas
l’impression de tout mettre en oeuvre pour faire payer la
Libye.
Moyens de pression
Si les Américains et les Britanniques ont fait reconnaître
aux Libyens leur responsabilité directe dans l’attentat
du vol Pan Am, c’est surtout parce qu’ils disposaient
d’énormes moyens de pression pour faire plier l’Etat
libyen. Au chapitre de ces moyens de pression, il y a la possibilité
de lever les sanctions décrétées à
l’encontre de Tripoli par l’Onu et les Etats-Unis.
“Tripoli s’engagerait à verser une somme de
quatre millions de dollars par victime une fois que les sanctions
de l’Onu seront officiellement levées et quatre autres
millions de dollars si les Etats-Unis lèvent à leur
tour leurs propres sanctions. Deux millions enfin si Washington
retire son «Iran-Libya sanctions Act.» par ailleurs,
si les Etats-Unis ne lèvent pas leurs sanctions dans les
huit mois, la Libye ne versera qu’un million de dollars
supplémentaire”, indique une dépêche
de l’agence Reuters du 16 mars 2003. Et l’Afrique?
Elle n’a malheureusement pas eu la même veine : pas
de moyens de pression pour forcer la Libye à faire amende
honorable et donc à accepter d’indemniser les familles
des victimes. A moins que, le retour en force de Tripoli sur la
scène internationale par le sport, ne donne enfin matière
à agir dans ce sens. “Le fils de Kadhafi veut se
présenter aux élections de la présidence
de la Confédération africaine de football (Caf)
- peut-être que nos gouvernements africains devraient sauter
sur l’occasion pour rappeler à Tripoli son implication
directe dans l’attentat du Dc 10 de l’Uta”,
espère Mana Toukour, convaincu que son combat est des plus
dignes. Puisqu’il s’agit avant tout de faire reconnaître
officiellement que les 170 victimes de l’attentat du vol
Dc 10 de l’Uta, en 1989, ne sont pas morts par accident;
mais bien par la faute des citoyens libyens.
Cela dit, l’attitude des gouvernements africains et camerounais
en particulier, dans cette affaire souligne gravement l’impuissance
de nos hommes politiques face à la vigueur des Etats occidentaux
: les procès de l’attentat de Lockerbie, où
une personne condamnée est en prison, les familles indemnisées
à 10 millions de dollars par victime, et celui du Dc 10
de l’Uta, par contumace, avec 6 condamnés (dont Abdallah
Senoussi, beau-frère de Kadhafi) en liberté, et
des indemnités de 3 à 30 milles euros au titre de
préjudice moral, selon le lien de parenté des ayant-droits,
sont significatifs de ce déséquilibre.
Une telle différence ne peut perdurer. Ne serait-ce que
pour la mémoire des victimes et de leurs familles.
|