"Le quai d'Orsay cherche
à rattraper le temps perdu et les erreurs commises."
Les démarches entreprises, mercredi 13 août,
par Dominique de Villepin pour obtenir une réévaluation
des indemnités attribuées aux victimes du vol UTA
772 n'apaisent pas la colère de Françoise Rudetzki,
la présidente de l'association SOS-Attentats. Cette association,
qui défend les familles de 77 des 170 victimes de
l'attentat du 19 septembre 1989, ne comprend pas que Paris
n'ait pas obtenu ce que Londres et Washington sont sur le point
d'arracher à Tripoli. Elle qualifie de "miettes"
les indemnités obtenues - 3 000 à 30 000
euros par famille -, et affirme que "jusqu'à ces
derniers jours, le Quai d'Orsay n'a rien fait et a laissé
les victimes mener seules les procédures judiciaires".
Françoise Rudetzki évoque un "tournant",
un "changement de ton", ressenti lors de sa
rencontre, le 4 juillet, avec Dominique de Villepin :
"Jusqu'à présent on nous disait de tourner
la page, qu'il était temps d'oublier. Et puis il y a eu
soudain ce nouveau discours. Londres et Washington tenaient au
courant Paris qu'il pouvait y avoir une importante indemnité
pour les familles de Lockerbie. Le ministre nous a alors dit qu'il
fallait trouver une solution équitable pour les proches
des victimes du vol 772."
Outre leur longue "indifférence", la
présidente de SOS-Attentats reproche aux autorités
françaises d'avoir été "conciliantes"
à l'égard de la Libye, "préservant
les intérêts économiques et les contrats juteux
plutôt que de défendre la mémoire des victimes".
Me Francis Szpiner, avocat de SOS-Attentats, évoque un
"lobby pro-libyen qui cherche à vendre des avions"
et crée des "pesanteurs". Un lobby qui
fait que "l'intérêt des victimes n'est pas
toujours apparu comme la motivation principale de la France dans
cette affaire".
Ancien membre de SOS-Attentats, Guillaume de Saint-Marc, dont
le père est mort dans l'attentat du DC-10, a créé
en février 2002 un "collectif des familles
des victimes du vol UTA 772" regroupant 95 familles
- dont la majorité sont aussi adhérentes de SOS-Attentats.
Ce collectif travaille depuis sa création avec la Fondation
Khadafi - une fondation caritative dirigée par Saïf
Al-Islam, le fils du colonel Kadhafi -, une "compromission"
aux yeux de Françoise Rudetzki, qui veut des "négociations
d'Etat à Etat".
Comme la présidente de SOS-Attentats, Guillaume de Saint-Marc
estime avoir été "trahi par les autorités
françaises, qui ont clos le dossier alors que nous étions
en position d'attente" après la condamnation
le 10 mars 1999 par contumace de six suspects à la
réclusion à perpétuité par la cour
d'assises de Paris. "Entre 1999 et 2000, l'attitude
du Quai d'Orsay a été ressentie comme un abandon
complet." Il considère néanmoins qu'"après
de nombreuses rencontres au Quai d'Orsay et à l'Elysée
au printemps 2002, les autorités françaises ont
pris la mesure de la détresse des victimes".
Au printemps 2002, soit un an avant que la Libye n'annonce - le
29 avril 2003 - un dédommagement substantiel des victimes
de l'attentat de Lockerbie. Après la visite de Dominique
de Villepin à Tripoli, en octobre 2002,"nos
intermédiaires libyens, qui nous prenaient pour des rigolos,
ont commencé à nous considérer sérieusement".
UNE TROISIÈME VISITE
C'est ainsi que M. de Saint-Marc a pu entreprendre du 12
au 15 juillet, puis lundi 11 et mardi 12 août,
des visites à Tripoli pour obtenir une indemnisation "comparable"
à celle des victimes du Lockerbie, "déduction
faite des taxes et frais d'avocats, soit moitié moindre".
"Nos initiatives pour trouver une solution négociée
sont soutenues par le Quai d'Orsay. C'est même la pression
du ministère qui a permis ces deux premières visites",
fait remarquer le fondateur et porte-parole du collectif. Une
troisième visite est prévue pour ce week-end afin
de "déboucher sur un document conjoint qui donne
un chiffre d'indemnisation satisfaisant pour tous".
L'ambassadeur de Libye à Londres, Mohammad Al-Zouaï,
a confirmé, jeudi soir, que "pour résorber
une crise possible, le ministère des affaires étrangères
libyen travaillait avec la fondation Kadhafi pour étudier
davantage les demandes humanitaires" des familles des
victimes du vol UTA 772.
Pour sa part, la présidente de SOS-Attentats, Françoise
Rudetzki, estime que ces pourparlers informels n'ont guère
de chance d'aboutir. Quant à l'attitude à venir
de la France, la présidente pense que "par son
veto au Conseil de sécurité, la France a les moyens
de faire rouvrir les négociations d'Etat à Etat".
Et de conclure : "Nous demandons simplement le même
traitement que les victimes de Lockerbie. Si les Etats-Unis avaient
eu la charge de notre dossier, il n'y aurait pas deux poids, deux
mesures."
Yann Laurent
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19 septembre 1989, vol UTA 772 : 170 morts
Le 19 septembre 1989, un DC-10 de la compagnie française
UTA qui reliait Brazzaville à Paris via N'Djamena (Tchad)
explose en vol au-dessus du désert du Ténéré
(Niger). Les 170 passagers et membres d'équipage (dont
53 Français) que compte à son bord l'appareil sont
tués. Le juge Jean-Louis Bruguière, chargé
de l'instruction, identifie "un faisceau de preuves et
de présomptions impliquant les services de renseignement
libyens" et présente ses conclusions le 19 septembre
1996. Responsables des services secrets ou de la diplomatie libyens,
six suspects sont condamnés par contumace à la réclusion
à perpétuité le 10 mars 1999. Parmi
eux, Abdallah Senoussi, beau-frère du colonel Kadhafi et
numéro deux des services secrets libyens. Tripoli
n'a jamais fait appliquer le verdict, la Libye ne considérant
pas les condamnations par contumace comme la garantie d'une culpabilité.
Elle a reconnu uniquement la responsabilité de ressortissants
libyens, et a transféré à la France 30,49 millions
d'euros destinés à indemniser les ayants droit des
victimes et à compenser les "pertes commerciales"
d'Air France.
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.08.03
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