par Paul Taylor
et Dominic Evans
LONDRES (Reuters) - Malgré des objections françaises,
la Libye est en voie de réhabilitation internationale après
l'accord conclu avec Washington et Londres sur l'attentat de Lockerbie.
Des responsables impliqués dans les négociations
indiquent que Tripoli et les Etats-Unis ont convenu d'entamer
un processus discret d'entretiens bilatéraux une fois que
le Conseil de sécurité des Nations unies aura voté
la levée des sanctions internationales imposées
en 1992 au régime du colonel Mouammar Kadhafi après
les attentats de Lockerbie et contre le vol du DC-10 de la compagnie
française UTA en 1989 au Niger.
Installé à Londres, l'avocat Saad Djebbar, conseiller
du gouvernement libyen dans le dossier Lockerbie, précise
que la Libye déposera lundi une somme de 2,7 milliards
de dollars à la Banque des règlements internationaux
à Bâle, en Suisse, qui serviront à verser
les indemnités aux victimes ou proches des victimes de
l'attentat contre l'avion de la PanAm qui fit 270 morts en 1988
au-dessus de la localité écossaise de Lockerbie.
Selon lui, la Grande-Bretagne présentera le même
jour au Conseil de sécurité une résolution
de levée définitive des sanctions de l'Onu contre
Tripoli, qui avaient déjà suspendues après
la remise par la Libye à la justice internationale de deux
agents libyens soupçonnés dans le dossier Lockerbie.
L'un d'eux, Abdel Basset el Megrahi, a été condamné
il y a deux ans par une cour spéciale écossaise
aux Pays-Bas. Vendredi, le gouvernement libyen a formellement
accepté sa responsabilité dans l'attentat, et s'est
également engagé à renoncer au terrorisme
et à coopérer dans les enquêtes sur Lockerbie.
La France a laissé entendre qu'elle pourrait s'opposer
à un accord sur la levée des sanctions, afin d'obtenir
un délai supplémentaire pour convaincre la Libye
de verser davantage que les quelque 30,5 millions d'euros qu'elle
a versés aux familles des 170 victimes de l'attentat contre
le DC-10 d'UTA.
Mais Tripoli a exclu samedi de verser des indemnités supplémentaires
dans ce dossier. "Nous avons conclu un accord avec les Français
et il est complètement réglé. Nous n'accepterons
aucune sorte d'extorsion ou de chantage", a déclaré
le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed
Abderrahmane Chalgham, à la chaîne américaine
CNN.
PARIS VEUT UN "ACCORD EQUITABLE"
Dimanche, le Quai d'Orsay a fait savoir que Dominique de Villepin
poursuivait ses contacts diplomatiques "dans l'objectif d'aboutir
rapidement à un accord équitable".
Sur CNN, Chalgham a expliqué que le rétablissement
de liens avec Washington et le retour des investisseurs américains
en Libye était désormais un objectif prioritaire
pour son gouvernement.
La Maison blanche avait prévenu vendredi qu'il était
hors de question pour le moment de supprimer les sanctions bilatérales
prises par Washington à l'encontre de la Libye, en raison
d'inquiétudes liées à des programmes présumés
d'armes de destruction massive (ADM), au rôle de Tripoli
en Afrique ou au respect des droits de l'homme.
L'avocat Saad Djebbar a indiqué qu'une prochaine initiative
de la Libye pourrait être de signer tous les traités
internationaux sur le contrôle des armements et accepter
des inspections de ses installations afin de lever tous les doutes
concernant d'éventuelles armes prohibées.
"Les Libyens savent que les ADM sont au sommet des préoccupations
américaines. Ils pourraient prendre l'initiative de signer
tous les accords concernés et autoriser des vérifications
avant que quiconque ne les y contraigne de l'extérieur",
a-t-il déclaré.
Selon lui, les hauts responsables libyens qui ont négocié
l'accord sur Lockerbie ont établi une relation de confiance
avec le sous-secrétaire d'Etat américain William
Burns et conseillent le colonel Kadhafi sur les prochaines étapes
à franchir pour rebâtir des liens solides avec les
Etats-Unis.
Ces derniers doivent cependant composer avec l'hostilité,
à Tripoli, des élements conservateurs qui redoutent
qu'un rapprochement avec l'Occident ne déstabilise le système
en place. Mais avec le soutien de Kadhafi, l'accord de Lockerbie
est assuré d'être entériné par le Congrès
général du peuple.
Selon Djebbar, Seif el Islam, fils de Kadhafi, joue également
un rôle non négligeable en arrière-plan, conseillant
à son père de jeter des ponts vers Washington plutôt
que de risquer un sort à la Saddam Hussein.
Parmi les mesures de rapprochement distillées par Tripoli
ces derniers jours, la Libye a demandé à un poids
lourd, l'Arabie saoudite, et non plus les Emirats arabes unis,
de représenter ses intérêts à Washington.
Et le pays, toujours selon Djebbar, retirera cette semaine une
plainte déposée devant la Cour internationale de
justice à La Haye contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne
en représailles des sanctions prises dans le cadre de l'affaire
Lockerbie.
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