Il n’existe désormais plus d’obstacles
à la levée des sanctions onusiennes, certes suspendues
depuis 1999, mais qui frappent la Libye depuis 1992, date à
laquelle l’implication de Tripoli dans les deux attentats
de Lockerbie de 1988 et du DC-10 d’UTA de 1989 a été
officiellement reconnue. La Fondation Kadhafi a en effet conclu
un accord avec les représentants des victimes de l’attentat
qui a visé l’avion français pour une revalorisation
des indemnités qui seront reversées aux familles.
La France avait en effet menacé d’utiliser son
veto à la levée des sanctions contre Tripoli si
la Libye refusait d’accorder aux familles des passagers
de ce vol français des compensations «équitables».
L’accord conclu ouvre ainsi la voie à un vote au
Conseil de sécurité qui pourrait intervenir dès
mercredi.
Même si jusqu’à présent les termes
de l’accord entre la fondation Kadhafi et les familles
des victimes de l’attentat contre le DC-10 d’UTA
ne sont pas encore connus, il ne faisait déjà
plus aucun doute dimanche soir que cet épineux dossier
avait enfin trouvé son épilogue. Le chef de la
révolution libyenne a en effet consacré une large
partie de son discours fleuve, prononcé à l’occasion
de l’anniversaire du coup d’état qui l’a
porté au pouvoir il y a 34 ans, pour annoncer qu’un
accord était bien intervenu et que la Libye allait ouvrir
«une nouvelle page dans ses relations avec l’Occident».
Le président Kadhafi a ainsi indiqué que Jacques
Chirac lui avait téléphoné dimanche et
qu’ils avaient convenu de «parvenir une formule
par le biais de la fondation Kadhafi». «Nous pouvons
dire que les affaires UTA et Lockerbie sont derrière
nous», a-t-il déclaré.
Quelques heures plus tard, le chef de la diplomatie française,
Dominique de Villepin, confirmait lundi matin sur RFI que «les
bases d’un accord» avaient bien été
trouvées. «Il reste à finaliser cet accord,
ce qui va être fait dans les prochaines heures»,
a-t-il déclaré en précisant bien que l’indemnisation
des familles prenait en compte les proches des 170 passagers
et pas seulement les familles des victimes françaises.
Le 19 septembre 1989, un DC-10 français d’UTA,
effectuant la liaison Brazzaville-Paris via N’Djamena,
avait explosé en vol et s’était écrasé
dans le désert du Ténéré, au Niger.
Sur les 170 passagers et membres d’équipage, 54
étaient Français. Mais des ressortissants d’autres
pays, comme le Congo ou le Tchad, avaient également péri.
La fondation caritative Kadhafi, qui a négocié
l’accord avec les représentants des familles des
victimes, est présidé par le fils du guide de
la révolution libyenne, Seif al-Islam. Dans un communiqué
publié dimanche, elle assurait qu’«une formule
de compromis satisfaisante pour toutes les parties» avait
été trouvée. Précisant que la fondation
n’avait «aucun lien avec l’Etat libyen»,
le texte soulignait également que l’accord est
intervenu «avec les seules familles des victimes de l’avion
français» et qu’il est «sans relation
avec ce qui va se passer à l’ONU au sujet de la
levée des sanctions».
La fondation lève toutefois le voile sur le volet, quoiqu’elle
dise, politique de ces négociations puisqu’elle
affirme que la formule trouvée va «également
aider à trouver un règlement à l’affaire
des citoyens libyens condamnés par contumace en France»
pour leur implication dans l’attentat contre le vol DC-10
d’UTA. Après l’enquête du juge antiterroriste
Jean-louis Bruguière, qui avait conclu à la responsabilité
des services secrets libyens dans cet attentat, la cour d’assises
de Paris avait condamné par contumace six Libyens, dont
le beau-frère du président Kadhafi, à la
prison à vie. Tripoli avait également été
condamné à versé 35 millions de dollars
aux familles des victimes.
Vers un vote au Conseil de sécurité
Les représentants des familles des victimes, qui se
sont rendus samedi dans la capitale libyenne pour ce dernier
round de négociations, se sont déclarés
satisfaits des résultats obtenus même si aucun
accord n’a été signé sur place. «Le
principe d’une indemnisation équitable et satisfaisante
est acquis», avait annoncé dès dimanche
soir l’un des avocats des familles. Se basant sur les
indemnités accordées aux proches des victimes
de l’accident du Concorde près de Paris en 2000,
les familles réclameraient 120 millions de dollars. Une
somme bien en de-ça de celle obtenue par la Grande-Bretagne
et les Etats-Unis qui ont réussi à négocier
une compensation de 2,7 milliards de dollars pour les familles
des 270 passagers du vol de la PanAm qui s’est écrasé
sur le village de Lockerbie en 1988. Mais pour l’un des
représentants des proches des victimes du vol français,
«voir qu’à travers la fondation Kadhafi il
puisse y avoir une forme de reconnaissance de la douleur des
familles est quelque chose qui peut amener à faire le
deuil et à accepter de passer à autre chose».
Car si la Libye a officiellement reconnu son implication dans
l’attentat de Lockerbie dans une lettre au Conseil de
sécurité, elle refuse catégoriquement d’avouer
sa responsabilité dans celui qui a frappé l’avion
français. Pour les autorités libyennes, ce dernier
dossier est définitivement clos et si la fondation Kadhafi
a accepté de revaloriser les indemnités des familles,
ce n’est officiellement que pour «des raisons humanitaires».
Quoiqu’il en soit, l’accord obtenu devrait ouvrir
la voie à la levée des sanctions internationales
imposées à la Libye depuis 1992. Elles avaient
certes été suspendues le 5 avril 1999 lorsque
Tripoli avait livré deux ressortissants libyens soupçonnés
d’avoir organisé l’attentat pour être
jugés par en Ecosse. Mais la Libye n’était
pas à l’abri de la réactivation de ces sanctions.
Le président Kadhafi a d’ailleurs expliqué
que «la suspension des sanctions est comme la prison avec
sursis puisque ces dernières peuvent être rétablies
à tout moment».
Dès l’annonce de la conclusion très prochaine
d’un accord entre la Libye et les familles des victimes
de l’attentat du vol d’UTA, la Grande-Bretagne a
déclaré qu’elle espérait soumettre
une résolution «cette semaine» au vote du
Conseil de sécurité pour une levée des
sanctions contre l’Etat libyen. Outre un embargo aérien
et terrestre, Tripoli se voyait interdit d’achat de certains
équipements pétroliers. Ces sanctions auraient
déjà coûté à la Libye quelque
33 milliards de dollars.
Mounia DAOUDI
Article publié le 01/09/2003