PARIS (AFP) - La France est
engagée dans un bras de fer avec les Libyens, selon des
experts, après la suspension des discussions à Paris
entre Tripoli et les familles des victimes de l'attentat en 1989
contre un DC-10 d'UTA sur une indemnisation définitive.
"Cela fait partie du marchandage libyen traditionnel",
a estimé le spécialiste du Moyen-Orient et ancien
ambassadeur de France en Tunisie, Eric Rouleau. Pour lui, "la
rupture des négociations est une pression supplémentaire.
Maintenant il faut voir la réaction de la France".
Paris avait renoncé le 12 septembre à bloquer au
Conseil de sécurité de l'ONU la levée de
sanctions internationales contre la Libye après la signature
d'"un accord de principe" entre la fondation Kadhafi
et les familles des victimes, prévoyant l'aboutissement
en un mois de négociations d'indemnisation.
Tripoli affirme avoir offert un million de dollars par famille
mais, selon SOS Attentats, les tractations tournent autour de
montants d'indemnisation de 2 à 2,5 millions de dollars,
une somme à comparer aux 4 millions qui doivent être
versés à chaque famille de victimes de l'attentat
de Lockerbie (Ecosse).
Pour les Libyens, le fonds d'indemnisation devrait être
alimenté par des contributions des sociétés
françaises opérant en Libye.
Les Libyens ont également évoqué publiquement
la nécessité d'apurer des contentieux avec Paris,
notamment le cas de six Libyens, dont un beau-frère du
colonel Kadhafi, condamnés par contumace en France à
la perpétuité en 1999 pour l'attentat contre le
DC-10. Ils ont également demandé le versement d'indemnités
pour trois pilotes libyens tués par l'aviation française
au-dessus de N'Djamena (Tchad) dans les années 80.
Les négociateurs libyens, qui avaient envisagé
de quitter Paris jeudi à 11H00, y étaient toujours
en milieu de journée. Le porte-parole des familles des
victimes, Guillaume Denoix de Saint-Marc, a indiqué que
plusieurs scénarios de sortie de crise ont été
imaginés mercredi lors d'une réunion "informelle"
à Paris, mais aucune solution n'a émergé.
L'Elysée a affirmé, mercredi soir, "avoir
pris note" de la suspension des discussions la veille et
l'entourage du président Jacques Chirac a souhaité
"vivement que les engagements pris par la Libye soient tenus".
Pour M. de Saint-Marc, la négociation a été
"entravée par l'escalade verbale et l'incompréhension
entre Tripoli et Paris".
Lundi, Seïf al-Islam Khadafi, fils du dirigeant libyen,
avait fait état d'un "accord secret" en six points,
conclu le 11 septembre et accepté, selon lui, par les Français.
Mardi, le Quai d'Orsay a démenti, affirmant qu'"il
n'y a aucun accord secret de quelque type que ce soit". Peu
après, la délégation libyenne recevait un
coup de téléphone et quittait la table des négociations,
selon une source proche du dossier.
"Les Français se sont mis dans une situation difficile
en laissant passer la résolution du Conseil de sécurité",
a estimé le journaliste et historien, spécialiste
du Proche-Orient, Paul-Marie de la Gorce. Pour M. Rouleau, "la
France était soumise aux pressions anglo-américaines".
M. Chirac avait indiqué dès samedi que la France
saurait tirer les "conséquences" d'un refus de
Tripoli de tenir ses engagements.
Mais Bruno Callies de Salies, expert du Maghreb, ne voit "pas
trop les mesures de rétorsion dont on disposerait vis-à-vis
des Libyens, d'autant plus qu'on cherche à pénétrer
leur marché. Ce sont nos concurrents, britanniques et américains,
qui pourraient profiter de la situation".
Pour M. Rouleau, en revanche, "la France détient
de nombreux atouts" dans ce bras de fer avec la Libye. "En
diplomatie, assure-t-il, on n'utilise pas tous ses atouts dès
le premier jour". |