Ne dites pas au Dr Ali Abdessalem Triki (65 ans) qu'il a été
limogé, au mois de juin, de son poste de ministre libyen
de l'Union africaine, il pourrait presque se fâcher. Mais
ce diplomate chevronné a trop d'humour pour s'offusquer
d'une impertinence. Le « monsieur Afrique » du colonel
Kaddafi n'est d'ailleurs pas resté longtemps sur la touche
: depuis un mois, il est le représentant permanent de la
Libye auprès des Nations unies.
Jeune Afrique l'intelligent : Pourquoi les négociations
franco-libyennes sur le règlement du dossier du DC-10 d'UTA
sont-elles bloquées ?
Ali AbdessalemTriki : Je pense que les discussions vont reprendre
d'ici à quelques jours et qu'on va vite trouver une solution.
Les deux parties sont déterminées à régler
ce différend, parce que c'est leur intérêt.
À mon sens, il faut se fonder sur le jugement de la cour
d'assises de Paris, en 1999. Le mois dernier, la Libye a fait
un effort sur le volet financier et accepté de réviser
à la hausse le montant des indemnités fixées
par la cour. Il revient peut-être à la France de
faire un geste sur l'autre volet du jugement.
J.A.I. : Voulez-vous dire qu'elle devrait gracier les six
Libyens condamnés par contumace ?
A.A.T. : Il pourrait s'agir d'une grâce présidentielle
ou de toute autre disposition juridique. Ce qui compte, c'est
que nos deux pays trouvent un compromis politique global. C'est
très important au moment où les pays arabes sont
engagés dans un processus très difficile en Irak
et en Palestine. La France, qui s'est opposée à
la guerre en Irak, a une position plus équilibrée
que bien d'autres pays. Nous apprécions beaucoup son rôle.
Par ailleurs, nous avons réactivé notre coopération
économique avec elle et ne souhaitons pas revenir en arrière.
Surtout avant le sommet « cinq plus cinq » entre l'Union
européenne et l'Afrique du Nord, prévu au mois de
décembre, à Tunis.
J.A.I. : Les sanctions de l'ONU contre votre pays ont été
levées le mois dernier, mais pas celles des États-Unis.
Ne craignez-vous pas un blocage jusqu'à l'élection
présidentielle de novembre 2004 ?
A.A.T. : Non. L'élection américaine se jouera sur
les questions économiques et sur l'Irak. Pas sur la Libye.
Par ailleurs, les Américains savent bien que nous ne soutenons
pas le terrorisme. Au contraire, nous en avons été
victimes. La Libye a même été frappée
par el-Qaïda avant les États-Unis. En 1998, il y a
eu un attentat à la grenade contre le Guide de la Jamahiriya,
dans le sud du pays...
J.A.I. : Mouammar Kaddafi se rapproche-t-il des Occidentaux
parce qu'il veut préparer une succession paisible pour
Seif el-Islam, son fils ?
A.A.T. : La Libye n'est pas une monarchie. Et le Guide n'occupe
pas un poste pour lequel il faudrait désigner un successeur.
De toute façon, il n'y a pas chez nous de pouvoir personnel.
Notre gouvernement est fondé sur les congrès populaires.
J.A.I. : Le président tchadien n'exclut pas de demander
à la Libye des réparations pour l'occupation passée
de la bande d'Aozou...
A.A.T. : La Cour internationale de La Haye a rendu son jugement
et nous l'avons respecté. Le reste, ce sont des paroles
en l'air ! Les Tchadiens devraient avant tout se préoccuper
de mener à bien leur réconciliation nationale. Et
nous sommes prêts à les y aider.
J.A.I. : Depuis votre limogeage du gouvernement, au mois
de juin, il n'y a plus de ministère de l'Union africaine.
Cela veut-il dire que la Libye lâche l'Afrique ?
A.A.T. : Mais je n'ai pas été limogé ! J'ai
été plusieurs fois ministre et plusieurs fois ambassadeur.
Aujourd'hui, je sers à nouveau mon pays au siège
de l'ONU, à New York. C'est tout. Quant au prétendu
lâchage de l'Afrique, c'est totalement faux. Nous avons
décidé de regrouper nos moyens dans un grand ministère
des Affaires étrangères, mais cela ne change rien
à la place privilégiée que nous accordons
à ce continent. Et nous savons combien elle nous a aidés
dans notre lutte pour faire lever les sanctions du Conseil de
sécurité.
Propos recueillis par Christophe Boisbouvier
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