Les
visites de Powell et de Chirac illustrent la rivalité américano-européenne
dans la région.
Par Jose GARÇON
Le Maghreb est décidément très
courtisé : le secrétaire d'Etat américain
Colin Powell entamait hier une tournée éclair en
Tunisie, Maroc et Algérie, alors que Jacques Chirac arrive
aujourd'hui en visite officielle à Tunis où se réuniront,
vendredi et samedi, les dirigeants de la Méditerranée
occidentale rives nord et sud pour le «Dialogue
5+5». Eclipsant quelque peu ce premier sommet France, Espagne,
Italie, Portugal, Malte, Algérie, Maroc, Tunisie, Libye
et Mauritanie, le chassé-croisé illustre la rivalité
qui oppose, au Maghreb, les Américains aux Européens,
Français particulièrement. Jusqu'ici, Washington,
en dépit de ses intérêts et de son «alliance
stratégique» avec un certain nombre de pays de la
zone, comme le Maroc, s'impliquait peu dans une région
historiquement tournée vers l'Europe du Sud. Mais depuis
le 11 septembre, les Etats-Unis ne cachent plus leur volonté
d'y être plus présents, cherchant notamment de nouveaux
débouchés pour leurs produits à travers la
perspective d'une zone de libre-échange avec le Maghreb
dit «central» (Algérie, Maroc, Tunisie), plus
l'Egypte. Ainsi, un mois avant le sommet «5+5», le
sous-secrétaire d'Etat, William Burns, installait en Tunisie
un «bureau régional pour la mise en oeuvre de l'initiative
du partenariat entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient».
Au Maroc, la négociation d'un accord de libre-échange
avec les Américains cristallise cette rivalité.
Dans ce contexte, le voyage de Jacques Chirac
à Tunis ne fait pas que clore le cycle de visites d'Etat
au Maghreb, commencé avec l'Algérie, en mars, et
le Maroc, en octobre. Il vise à conforter l'arrimage du
Maghreb à l'Union européenne qui privilégie
l'encadrement et l'assistance financière, le secteur privé
et les échanges intrarégionaux. Paris y voit le
gage d'une «stabilité géopolitique vitale
face à la montée de l'islamisme et de ses ramifications
terroristes».
Le principal gagnant risque d'en être le
chef de l'Etat tunisien Zine Ben Ali, en dépit de son bilan
désastreux en matière de droits de l'homme, et de
la mainmise policière et judiciaire qu'il a imposée
sur la société (lire encadré). «Ses
succès économiques et sociaux ouvrent la voie au
renforcement de l'Etat de droit», a plaidé, hier,
l'Elysée, moins dans l'espoir d'être entendu par
Tunis que pour se dédouaner de soutenir un Ben Ali qui
s'est donné les moyens constitutionnels et administratifs
d'être président à vie, élu à
99 %. Cette volonté de Paris de ne jamais aborder les sujets
qui fâchent avec Tunis, et plus encore avec Alger, risque
de trancher avec le discours sur la «démocratisation»
du Proche et Moyen-Orient, développé par Washington,
et que Colin Powell a annoncé vouloir tenir au Maghreb.
Reste le forum «5+5». «Au-delà
de la symbolique d'une première rencontre des chefs d'Etat,
il risque d'être bloqué à la fois par les
divergences intermaghrébines et intereuropéennes»,
estime un diplomate européen. Alger et Rabat s'opposent
en effet sur l'interminable conflit du Sahara-Occidental qui empêche
toute construction d'un «Grand Maghreb». Mohammed
VI et Abdelaziz Bouteflika se rencontreront-ils en marge du sommet
? Cela aurait de toute façon peu de résultats concrets.
Car, nul en Algérie n'est en mesure d'imposer un règlement
du conflit saharien, compte tenu des luttes de clans féroces
à l'approche de la présidentielle d'avril 2004.
Côté européen, les divergences sur cette affaire
sont tout aussi paralysantes : Paris soutient la position marocaine,
tandis que Madrid appuie fermement Alger, avec la bénédiction
de Washington. Dans ce contexte, le «5+5» devrait
surtout être dominé par un autre problème
sensible : l'immigration clandestine. Les pays du Maghreb, par
où transitent les Subsahariens qui fuient conflits et misère
en Afrique, souhaitent une politique européenne «plus
cohérente», une «solidarité active»
entre les deux rives de la Méditerranée et plus
d'aide au développement. Du coup, seul un «geste»
de Kadhafi, au moment où la France attend toujours de Tripoli
une indemnisation des familles des victimes de l'attentat du DC-10
d'UTA, pourrait créer une surprise... Et une rencontre
avec Chirac. L'Elysée a réaffirmé, hier,
que la Libye s'est engagée «au plus haut niveau»
sur cette indemnisation.
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