Tunis :
de notre envoyé spécial Pierre Rousselin
Ayant salué la Tunisie comme un modèle
de modernisation pour un monde arabe menacé par l'islamisme,
le président Jacques Chirac a appelé hier le Maghreb
à «réussir son intégration»,
afin de renforcer le partenariat entre les deux rives de la Méditerranée.
Le président achève aujourd'hui sa visite d'Etat
en Tunisie, avant de participer à un premier sommet du
dialogue 5 + 5 réunissant des pays de l'Europe du Sud (France,
Espagne, Italie, Portugal et Malte) et du nord de l'Afrique (Maroc,
Algérie, Tunisie, Libye et Mauritanie).
«Nous rêvons de bâtir en Méditerranée
un vaste espace de progrès, où les hommes circuleront
et s'installeront plus librement, un espace d'équité.
Cette dimension sociale est au coeur de notre ambition euro-méditerranéenne.
Pour cela aussi, il est essentiel que le Maghreb poursuive et
réussisse son intégration», a déclaré
le président Chirac lors d'une allocation devant le Conseil
économique et social tunisien à la technopole de
l'Ariana, vitrine de la modernisation du pays.
Le sommet doit être l'occasion d'évoquer –
dans une structure informelle qui n'a encore jamais servi au plus
haut niveau – le partenariat euro-méditerranéen
et les défis auxquels il fait face, notamment dans le domaine
de la lutte antiterroriste et de l'immigration clandestine. Pour
appuyer l'initiative, le président de la Commission, Romano
Prodi, a fait le déplacement, ainsi que Javier Solana,
haut représentant pour la politique étrangère,
et Chris Patten, commissaire aux Relations extérieures.
Le différend algéro-marocain sur le Sahara occidental,
dont le règlement est un préalable à une
véritable intégration régionale, sera abordé.
Le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, qui
vient d'effectuer une tournée éclair dans les trois
capitales du Maghreb, a invité Alger et Rabat à
des négociations bilatérales. La diplomatie américaine
prend ainsi acte d'une des revendications marocaines en marginalisant
le rôle du Front Polisario.
Plus généralement, le sommet vise à donner
un nouvel élan au processus d'intégration euro-méditerranéen
lancé il y a huit ans lors de la conférence de Barcelone,
dans la foulée des accords d'Oslo entre Israéliens
et Palestiniens. Ce processus avait «fait naître de
grandes espérances», largement déçues
avec l'échec de la paix au Proche-Orient, a relevé
Jacques Chirac.
A l'heure de l'élargissement vers l'est, le chef de l'Etat
a tenu à affirmer «solennellement» que l'Union
européenne «ne se détournera pas de sa rive
sud». Il a exhorté ses interlocuteurs à se
montrer «audacieux et volontaires» : «Réaffirmons
ensemble cette priorité euro-maghrébine ! Retrouvons
cette énergie de paix ! Sachons puiser au génie
de la Méditerranée, à ses valeurs millénaires
d'échange, de partage, de tolérance ! Reprenons
résolument notre marche vers un destin méditerranéen
commun !»
Jacques Chirac pourra évoquer avec le dirigeant
libyen, Mouammar Kadhafi, le différend sur l'indemnisation
des victimes de l'attentat contre le DC 10 d'UTA en 1989. Tout
en se montrant optimiste quant à la reprise des négociations
entre les familles et la Fondation Kadhafi, le chef de l'Etat
a souligné que, en cas de désaccord, la France sera
«obligée de tenir compte de cette situation d'insuffisante
bonne volonté».
Pendant sa visite d'Etat en Tunisie, le président de la
République n'a cessé de rendre un hommage très
appuyé au président Zine el-Abidine Ben Ali et à
sa réussite en matière économique et sociale,
qu'il présente comme un «modèle» pour
la région. Il n'a évoqué qu'en termes très
diplomatiques une nécessaire «consolidation démocratique»
et a minimisé les atteintes aux droits de l'homme. Alors
que les médecins de l'avocate Radhia Nasraoui l'ont appelée
à cesser sa grève de la faim, débutée
le 15 octobre, les propos du président affirmant que, «en
France aussi, nous avons des personnes qui font la grève
de la faim, ou qui la feront», ont suscité l'émoi
des défenseurs des droits de l'homme.
Hier soir, il est revenu sur ses propos, affirmant : «La
France accorde, et j'accorde, la plus grande importance à
tout ce qui touche aux droits de l'homme.» Ceux-ci sont
une «valeur de nature universelle» et sont donc «indivisibles»,
a-t-il ajouté, estimant que les commentaires suscités
par ses déclarations avaient «quelque chose d'injuste»
et manifestaient une «incompréhension» à
son égard.
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