victimes attentat

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(Vendredi 5 décembre 2003)

A Tunis, Europe et Maghreb cherchent à renforcer leurs relations

LE MONDE | 05.12.03 | 13h17 • MIS A JOUR LE 05.12.03 | 13h46

Les dirigeants des cinq pays d'Europe du sud et des cinq pays du Maghreb se retrouvent, vendredi 5 et samedi 6 décembre, en Tunisie, pour un sommet exceptionnel visant à relancer leur coopération. Alors que le Maghreb s'inquiète de l'élargissement vers l'Est de l'Union européenne, ce sommet doit aider à définir de nouvelles relations et à esquisser ce "destin commun" dont parle Jacques Chirac. Ses propos, mercredi, sur les droits de l'homme, ont provoqué une vive polémique. Le sommet "5+5", auquel participe le colonel Khadafi, devrait permettre d'examiner l'ensemble des relations entre les pays.

Tunis de notre envoyée spéciale

Depuis plus d'une dizaine d'années, l'élargissement vers l'Est de l'Union européenne est programmé. Cette perspective inquiète depuis longtemps les pays du Maghreb, qui craignent d'en faire les frais. Mais rien ou presque ne se passe. Le sommet des pays de la Méditerranée occidentale, qui se réunit les 5 et 6 décembre à Tunis, pourrait être le signe que ces pays ont enfin compris que le moment est, pour eux, crucial, et qu'il faut bouger.

C'est le président tunisien Ben Ali qui a pris l'initiative de cette rencontre - une première en son genre - qui réunit au plus haut niveau les dirigeants des cinq pays de l'Union du Maghreb arabe (Tunisie, Maroc, Algérie, Mauritanie, Libye) et ceux de cinq pays de l'Europe du Sud (France, Italie, Espagne, Portugal et Malte).

SOUCIS COMMUNS

Jacques Chirac, qui se trouve à Tunis, depuis mercredi, en visite d'Etat, n'a pas mesuré ses félicitations au président tunisien pour cette initiative. Il s'y est longuement attardé dans le discours qu'il a prononcé, jeudi, devant le Conseil économique et social tunisien, en appelant à la relance du projet de rapprochement euroméditerranéen dessiné, il y a huit ans, sous le nom de "Processus de Barcelone" mais qui, depuis, piétine. "Nos pays, a-t-il dit, étaient animés de la plus belle des ambitions : établir dans cette région du monde, qui est à la fois le berceau de notre civilisation et le lieu de tant d'affrontements, un vaste espace de paix et d'échanges, susciter une dynamique de croissance et de prospérité (...) Retrouvons l'élan fondateur !"

Le conflit du Proche-Orient a lourdement hypothéqué ce projet du côté de la Méditerranée orientale. Pour ce qui est du Maghreb, il a été freiné à la fois par les sanctions internationales que s'était attirées le régime libyen - et qui sont aujourd'hui levées - et par le conflit du Sahara occidental qui met aux prises le Maroc et l'Algérie. L'ambition du président Ben Ali est de contribuer au règlement de ce différend et de promouvoir une politique d'intégration régionale entre les pays maghrébins. Ils y ont un intérêt économique. Comme l'a rappelé Jacques Chirac, "plus large est le marché, plus il attire investisseurs et entreprises. Le flux d'investissements sera d'autant plus important vers les pays du Maghreb qu'ils auront intensifié leurs échanges entre eux et su faire jouer pleinement les complémentarités".

L'Europe et le Maghreb ont en commun quelques soucis dont il devrait être question au sommet, parmi lesquels le terrorisme et les pressions migratoires. La lutte contre le terrorisme suppose la coopération internationale ; le président français n'a pas manqué de souligner les progrès réalisés, de ce point de vue, avec la Tunisie. Quant aux flux migratoires, les pays réunis au sommet de Tunis ont un intérêt partagé à maîtriser ceux qui prennent leur source ailleurs et transitent par le Maghreb. Mais le Maroc, l'Algérie et la Tunisie attendent aussi de l'Europe qu'elle abandonne l'approche "sécuritaire" de cette question et qu'elle s'ouvre plus généreusement à l'immigration légale venant de chez eux. Cette demande, cette pression augmenterait d'autant plus aux portes sud de l'Union européenne que celle-ci, n'ayant d'yeux que pour ses nouveaux adhérents à l'Est, se détournerait d'un Maghreb incapable de plaider collectivement sa cause. Telle est la problématique générale. La venue au sommet de Tunis du président de la Commission de Bruxelles, Romano Prodi, du haut représentant de l'UE pour la politique étrangère, Javier Solana, et du commissaire aux relations extérieures, Chris Patten, témoigne de la conscience de cet enjeu du côté européen.

TÊTE-À-TÊTE CONTRAINT

Mais le "destin commun méditerranéen" qu'a décrit Jacques Chirac, jeudi, a aussi d'autres dimensions. "Cette société ouverte, cette société de l'échange que nous voulons bâtir autour de la Méditerranée doit s'accorder sur l'essentiel : la démocratie, les libertés, l'Etat de droit, ces principes universels auxquels l'Europe est profondément attachée", a dit le président, dans un discours qui, celui-là, n'avait rien à envier aux préceptes défendus par le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, lors de sa toute récente tournée maghrébine.

M. Chirac avait donné le sentiment, la veille, d'oublier quelque peu les principes démocratiques pour s'adonner exclusivement à l'apologie des mérites du régime tunisien dans les domaines économique et social. Dans l'entourage de Jacques Chirac, on ne se fait pas d'illusions quant aux performances de ce régime en matière de libertés publiques. Certains parlent même de "régression", de "durcissement". Ils disent cependant regretter, pour Radhia Nasraoui et pour la cause qu'elle défend, que la question des droits de l'homme en Tunisie se soit de nouveau à ce point focalisée sur un seul cas, provoquant chez les autorités locales une crispation qui exclut d'aborder le sujet publiquement. Dans la délégation française, on parle avec d'infinies précautions, mais quand même, d'une "instrumentalisation" de la visite de Jacques Chirac à Tunis par Mme Nasraoui. Peut-être le dialogue à plusieurs qui s'amorce à Tunis aura-t-il, aussi, un jour, pour vertu de décrisper les dirigeants français, d'abolir leur autocensure et de détendre ce tête-à-tête contraint qu'ils continuent d'entretenir avec les pays du Maghreb.

Claire Tréan

La caravane du colonel Kadhafi


La star médiatique du sommet sera le colonel libyen Kadhafi, qui, fidèle à sa réputation, n'a pas manqué de mettre en scène sa venue à Tunis. Ayant choisi d'arriver par voie terrestre, il a pris la route, mercredi, à la tête d'une caravane de 500 personnes, pour parcourir, avec des haltes, les 600 km qui séparent Tripoli de Tunis. Les autorités tunisiennes se demandaient encore, jeudi en fin de journée, s'il s'installerait dans l'un des pavillons du Palais des hôtes qui lui est réservé ou s'il planterait sa tente ici ou là, comme il en a coutume lors de ses déplacements. Jacques Chirac, pour sa part, n'a pas proposé d'entretien particulier au chef de l'Etat libyen pour traiter du différend qui oppose la Fondation Kadhafi à l'Association française des victimes de l'attentat contre le DC-10 d'UTA. "J'ai tout lieu d'espérer que les négociations vont reprendre", a déclaré M. Chirac, en ajoutant que, s'il en allait autrement, "cela témoignerait d'une insuffisante bonne volonté" de son homologue libyen et "jetterait une ombre" sur les relations entre les deux pays.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 06.12.03

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