Par Salah Sarrar et Bernard
Woodall
TRIPOLI/NEW YORK (Reuters) - La Libye, qui a annoncé vendredi
l'abandon de son programme d'armes de destruction massive, a fait
savoir samedi qu'elle comptait bien cesser d'être un pays
paria aux yeux de la communauté internationale et réintégrer
le concert des nations.
"La Libye veut résoudre tous les problèmes,
nous voulons nous consacrer au développement et à
l'avancement de notre pays. Ce programme ne profite ni à
notre peuple ni à notre pays", a déclaré
le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed
Abderrhamane Chalgam, à la télévision qatarie
Al Djazira.
"Nous voulons nouer des liens avec la Grande-Bretagne et
les Etats-Unis, parce que c'est dans l'intérêt de
notre peuple."
En renonçant à ses programmes d'armes de destruction
massive -Londres a affirmé que Tripoli était en
passe de détenir une bombe nucléaire- la Libye a
ouvert la voie à une possible levée des sanctions
américaines qui la frappent, ce qui entraînerait
le retour des compagnies pétrolières américaines
sur son sol.
Le département américain de l'Energie estime que
la production de pétrole libyen pourrait atteindre les
deux millions de barils par jour en cinq ans.
"C'est un accord crucial pour la Libye", a déclaré
le fils du colonel Kadhafi, Saïf al Islam. "parce que
tout d'abord, nous aurons accès aux armes défensives
et il n'y aura plus de sanctions sur les importations d'armes
libyennes. Nous aurons accès au savoir-faire et à
la technologie dans des secteurs qui nous étaient prohibés
(...) et que les Libyens avaient interdiction d'étudier",
a-t-il dit sur CNN.
L'accord, a-t-il ajouté, "ouvrira la voie à
la normalisation des relations politiques avec les Etats-Unis
et l'Occident en général et conduira également
à éliminer toute menace contre la Libye de la part
de l'Occident et des Etats-Unis en particulier."
"AVANCER ETAPE PAR ETAPE"
Néanmoins, et malgré les témoignages de
satisfaction de Londres et de Washington, qui ont négocié
depuis des mois sur cette question, un haut responsable de l'administration
Bush s'est montré réservé quant à
la levée des sanctions américaines.
"Nous ne sommes qu'au début (du processus). Les Libyens
veulent travailler avec les Etats-Unis, mais nous allons avancer
étape par étape", a-t-il dit à Reuters.
"Nous travaillerons avec eux tant que leur initiative sera
sincère. Nous n'en sommes pas au point de discuter de l'impact
de cette annonce sur le régime des sanctions."
L'annonce de la Libye est intervenue à deux jours du 15e
anniversaire de l'attentat de Lockerbie, en Ecosse. Tripoli a
échappé cet automne aux sanctions de l'Onu en reconnaissant
sa responsabilité dans cette attaque, qui avait fait 270
morts, et en acceptant de dédommager les familles des victimes.
Mais Washington, qui soupçonnait Tripoli de chercher à
se procurer des armes biologiques ou chimiques, avait alors maintenu
ses sanctions.
Actuellement, Washington interdit presque toute activité
économique en Libye et interdit à ses ressortissants
de s'y rendre sans permission du gouvernement.
Rien ne permet d'affirmer que ces sanctions résisteront
au concert d'éloges internationales après la décision
libyenne.
Le président libyen Mouammar Kadhafi "doit être
vivement applaudi pour ce qu'il a fait, qui est digne d'un chef
d'Etat et très courageux", a déclaré
samedi Jack Straw, secrétaire britannique au Foreign office.
REGLER LA QUESTION DU DC-10 D'UTA
Le colonel Kadhafi, naguère persona non grata sur la scène
internationale, a estimé que cette "sage décision"
montrait l'attachement de son pays à "l'édification
d'un monde libre de toute arme de destruction massive et de toute
forme de terrorisme".
Le chef de la diplomatie égyptienne, Ahmed Maher, a jugé
qu'il s'agissait d'un "exemple" à suivre pour
la région.
Le président George W. Bush a félicité Tripoli
pour avoir pris des "mesures essentielles" concernant
son programme d'armement et déclaré: "Sa bonne
foi sera payée de retour".
"L'annonce faite aujourd'hui montre que l'on peut combattre
cette menace par des moyens autres que purement militaires",
a commenté le Premier ministre britannique, Tony Blair.
Faisant vraisemblablement allusion aux programmes nucléaires
de l'Iran et de la Corée du Nord, le président Bush
a déclaré: "J'espère que d'autres dirigeants
prendront exemple sur l'annonce faite aujourd'hui par la Libye."
Tout en saluant la décision libyenne qualifiée
de "pas en avant", le chef de la diplomatie française
Dominique de Villepin a souhaité samedi qu'un accord définitif
puisse être trouvé rapidement avec Tripoli sur l'indemnisation
des familles des victimes de l'attentat contre le DC-10 d'UTA,
perpétré en 1989.
La Libye a accepté d'abandonner son programme d'armes
non conventionnelles à la suite de rencontres avec des
experts britanniques et américains.
"Pendant près de neuf mois, nous avons mené
de longues et difficiles négociations secrètes.
Et (...) il y a deux semaines, nous avons trouvé un accord",
a révélé Saif al-Islam, qui a affirmé
que ce processus n'était en rien lié à la
crise irakienne ou à la capture de Saddam Hussein samedi
dernier.
"En fait, nous avons commencé à coopérer
avant même l'invasion de l'Irak et avons décidé
il y a deux semaines de rendre public le résultat de cette
coopération, ce qui signifie que cela n'a rien à
voir avec la capture de Saddam ou avec l'invasion de l'Irak."
D'après un responsable américain, Tripoli a reconnu
l'existence d'un programme d'armes chimiques et son intérêt
pour l'acquisition de matériaux en vue d'armes biologiques.
Il a ajouté que les Libyens faisaient preuve de franchise
mais qu'il restait des points à élucider. A propos
des objectifs nucléaires de la Libye, il a dit: "D'après
ce que je comprends, ils (les Libyens) avaient un programme bien
plus avancé" que l'on ne pensait précédemment.
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