Par Salah Sarrar
TRIPOLI (Reuters) - La Libye, qui a annoncé vendredi l'abandon
de son programme d'armes de destruction massive (ADM), a fait
savoir samedi qu'elle comptait bien cesser d'être un pays
paria aux yeux de la communauté internationale et réintégrer
le concert des nations.
"La Libye veut résoudre tous les problèmes,
nous voulons nous consacrer au développement et à
l'avancement de notre pays. Ce programme ne profite ni à
notre peuple ni à notre pays", a déclaré
le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed
Abderrhamane Chalgam, à la télévision qatarie
Al Djazira.
Disant souhaiter "nouer des liens avec la Grande-Bretagne
et les Etats-Unis", la Libye s'est tournée dès
samedi vers l'Agence internationale de l'énergie atomique
(AIEA) pour chercher à convaincre la communauté
internationale que ses engagements ne resteraient pas lettre morte.
Des responsables libyens sont partis samedi à Vienne,
pour une réunion au siège de l'AIEA, a-t-on appris
de source diplomatique. Tripoli a annoncé vendredi qu'il
acceptait des inspections des experts de l'agence de l'Onu et
qu'il souhaitait prouver que ses futures recherches dans le domaine
nucléaire n'auraient que des objectifs civils.
LEVEE DES SANCTIONS AMERICAINES?
En renonçant à ses programmes d'armes de destruction
massive -Londres a affirmé que Tripoli était en
passe de détenir une bombe nucléaire- la Libye a
ouvert la voie à une possible levée des sanctions
américaines qui la frappent, ce qui entraînerait
le retour des compagnies pétrolières américaines
sur son sol.
Le département américain de l'Energie estime que
la production de pétrole libyen pourrait atteindre les
deux millions de barils par jour en cinq ans.
Néanmoins, et malgré les témoignages de
satisfaction de Londres et de Washington, un haut responsable
américain s'est montré réservé quant
à la levée des sanctions américaines.
"Nous ne sommes qu'au début (du processus). Les Libyens
veulent travailler avec les Etats-Unis, mais nous allons avancer
étape par étape", a-t-il dit à Reuters.
"Nous travaillerons avec eux tant que leur initiative sera
sincère. Nous n'en sommes pas au point de discuter de l'impact
de cette annonce sur le régime des sanctions."
L'annonce de la Libye est intervenue à deux jours du 15e
anniversaire de l'attentat de Lockerbie, en Ecosse. Tripoli a
échappé cet automne aux sanctions de l'Onu en reconnaissant
sa responsabilité dans cette attaque, qui avait fait 270
morts, et en acceptant de dédommager les familles des victimes.
Mais Washington avait alors maintenu ses sanctions et interdit
toujours presque toute activité économique en Libye.
Rien ne permet d'affirmer que ces sanctions, décidées
en 1982 et renforcées en 1986, résisteront au concert
d'éloges internationales après la décision
libyenne.
Le président libyen Mouammar Kadhafi "doit être
vivement applaudi pour ce qu'il a fait, qui est digne d'un chef
d'Etat et très courageux", a déclaré
samedi Jack Straw, secrétaire britannique au Foreign office.
"Si Saddam était venu vers nous il y a un an ou plus,
(...) la situation en Irak aurait été très
différente", a-t-il ajouté. La principale raison
invoquée par Londres et Washington pour envahir l'Irak
était ses armes interdites présumées.
TRIPOLI EN EXEMPLE
Tripoli a affirmé qu'aucun lien n'existait entre sa décision
de renoncer à ses armes et la crise irakienne.
"Pendant près de neuf mois, nous avons mené
de longues et difficiles négociations secrètes.
Et (...) il y a deux semaines, nous avons trouvé un accord",
a révélé Saif al-Islam, le fils du colonel
Kadhafi, qui a affirmé que ce processus n'était
en rien lié à la crise irakienne ou à la
capture de Saddam Hussein samedi dernier.
"En fait, nous avons commencé à coopérer
avant même l'invasion de l'Irak et avons décidé
il y a deux semaines de rendre public le résultat de cette
coopération, ce qui signifie que cela n'a rien à
voir avec la capture de Saddam ou avec l'invasion de l'Irak."
Le colonel Kadhafi, qualifié dans les années 1980
de "chien fou" par le président américain
Ronald Reagan, a estimé que cette "sage décision"
montrait l'attachement de son pays à "l'édification
d'un monde libre de toute arme de destruction massive et de toute
forme de terrorisme".
Le secrétaire général de la Ligue arabe,
Amr Moussa, a estimé qu'Israël devait s'inspirer de
la décision libyenne et démanteler ses programmes
nucléaires militaires présumés.
Selon un responsable israélien, Israël considère
le geste de Tripoli comme "très positif" pour
la région.
Le président George W. Bush a félicité Tripoli
pour avoir pris des "mesures essentielles" concernant
son programme d'armement et déclaré: "Sa bonne
foi sera payée de retour".
Faisant vraisemblablement allusion aux programmes nucléaires
de l'Iran et de la Corée du Nord, Bush a déclaré:
"J'espère que d'autres dirigeants prendront exemple
sur l'annonce faite aujourd'hui par la Libye."
Tout en saluant la décision libyenne, qualifiée
de "pas en avant", le chef de la diplomatie française
Dominique de Villepin a souhaité qu'un accord définitif
puisse être trouvé rapidement avec Tripoli sur l'indemnisation
des familles des victimes de l'attentat contre le DC-10 d'UTA,
perpétré en 1989.
Berlin et Moscou ont également fait part de leur satisfaction
après la décision libyenne.
D'après un responsable américain, Tripoli a reconnu
l'existence d'un programme d'armes chimiques et son intérêt
pour l'acquisition de matériaux en vue d'armes biologiques.
Il a ajouté que les Libyens faisaient preuve de franchise
mais qu'il restait des points à élucider. A propos
des objectifs nuléaires de la Libye, il a dit: "D'après
ce que je comprends, ils (les Libyens) avaient un programme bien
plus avancé" que l'on ne pensait précédemment
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