victimes attentat

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(vendredi 9 janvier 2004)

Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont mis la France hors jeu en Libye

LE MONDE | 09.01.04 | 18h50

La "guerre des clans" à Tripoli pourrait expliquer le cafouillage français.
Quand, à la mi-août, la France réclame des "indemnités équitables" pour les victimes du DC-10 d'UTA et menace d'opposer son veto à la levée des sanctions de l'ONU contre la Libye, elle ne se doute pas qu'elle bloque une négociation entre Washington, Londres et Tripoli qui dépasse de loin le seul règlement de l'attentat de Lockerbie, l'explosion en vol d'un Boeing 747 de la Pan Am en 1988, qui a fait 270 morts.

C'est seulement le vendredi 19 décembre, peu avant 23 heures, qu'on mesure, à Paris, tout l'enjeu des tractations en cours. Le chef de la diplomatie britannique, Jack Straw, appelle alors au Quai d'Orsay pour prévenir de l'annonce que s'apprête à faire son premier ministre. Cinq minutes plus tard, Tony Blair révèle que le colonel Kadhafi accepte de renoncer, en se soumettant à des vérifications internationales, aux armes de destruction massive (ADM). De l'autre côté de l'Atlantique, George Bush amplifie le message en levant le voile sur de longs mois de contacts secrets avec Tripoli. Ce n'est que le lendemain, samedi, que le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, trouve le temps d'appeler son "ami" Dominique de Villepin.

De sources américaine et française, on confirme que Paris a été délibérément tenu à l'écart du rapprochement anglo-américain avec la Jamahyiria libyenne, pays producteur de pétrole aux réserves six fois supérieures à celles de l'Algérie. "Les consignes en ce sens ont été claires et très strictes", précise une source américaine. "Nous n'étions pas au courant et nous n'avons pas non plus été approchés par les Libyens", reconnaît-on au Quai d'Orsay. "Il n'y a pas même eu un appel du pied de Tripoli".

Cette dernière affirmation est cependant contredite par une source du renseignement français qui fait état d'un émissaire libyen qui serait venu à Paris, en avril 2002, pour prévenir la DGSE (Direction général de la sécurité extérieure) de la volonté de Tripoli de négocier son renoncement aux ADM. Il pourrait s'agir d'Ahmed Kaddafedam, un cousin du colonel Kadhafi et grand rival du fils du "guide", Seïf al-Islam, le dauphin du régime. La lettre d'informations Maghreb Confidentiel qui, le 1er janvier, a fait état des fréquentes venues d'Ahmed Kaddafedam à Paris, estime que celui-ci, "lié par sa femme au général Maghzoub, l'un des trois patrons des régiments opérationnels", s'oppose au clan du fils, dont fait notamment partie le chef des services de sécurité, Moussa Koussa.

La "guerre des clans" à Tripoli pourrait expliquer le cafouillage au sein du gouvernement français, et à l'intérieur de la DGSE, parfois sur fond de règlements de compte. Au sein du service d'espionnage, on aurait "voulu faire passer Pierre Brochand -son actuel chef- pour un bleu", affirme ainsi une source. Le 20 décembre, en déclarant que la France avait été "parfaitement informée" des négociations américano-britanniques avec Tripoli, la ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie, s'est mise en contradiction totale - avant de revenir sur ses propos - avec Dominique de Villepin.

Du côté américain, on souligne que le "premier contact décisif" avec les Libyens remonte à janvier 2002, à Londres, où le responsable pour le Maghreb et le Proche-Orient de l'administration Bush, William Burns, a rencontré Moussa Koussa et trois hauts diplomates libyens. C'est là que le règlement de l'affaire Lockerbie, de même que la négociation sur les ADM, auraient été initiés.

Du côté français, les contacts avec la Libye sont restés restreints, en dehors d'un jeu de go plutôt conflictuel sur l'échiquier africain, au règlement définitif de l'attentat contre le DC-10 d'UTA. Il en était question lorsque, en octobre 2002, Dominique de Villepin a effectué un voyage à Tripoli, où il a rencontré le colonel Kadhafi. Celui-ci a "boudé" Jacques Chirac, ne le gratifiant ni d'un mot ni d'un regard, au sommet euro maghrébin à Tunis, début décembre, où la négociation sur l'indemnisation des victimes du DC-10 aurait cependant été "relancée en coulisse", selon une source française.

Entre Paris, Washington et Londres, le feuilleton continue : à présent, il porte sur l'inspection de l'arsenal libyen que la France voudrait voir réserver à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Les Etats-Unis, en particulier, y sont hostiles, craignant la divulgation des informations sur les "partenaires" de la Libye, dont notamment le Pakistan, dans l'effort de se doter d'ADM.

Stephen Smith

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 10.01.04

 

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