Après des mois de négociations chaotiques,
le dossier des indemnisations des familles des victimes de l’attentat
contre le DC-10 d’UTA a enfin trouvé son issue
à Paris. Un accord sur un montant total de 170 millions
de dollars a en effet été signé vendredi
entre la Fondation Kadhafi, que préside le fils du dirigeant
libyen Saïf al-Islam, et les représentants des proches
des victimes. Cet accord, qui a été conclu en
marge d’une visite officielle du chef de la diplomatie
libyenne en France, devrait ouvrir la voie à une normalisation
des relations entre Paris et Tripoli. Une sorte de «feuille
de route» politique doit d’ailleurs être signée
dans l’après-midi par les ministres des Affaires
étrangères des deux pays pour «renforcer
et relancer les liens» entre les deux Etats.
L’accord sur les indemnisations a été paraphé
en fin de matinée par le représentant du collectif
des familles du DC-10 d’UTA, Guillaume Denoix de Saint
Marc, celui de l’organisation SOS Attentats, Me Francis
Spizner, le directeur de la Fondation Kadhafi et un représentant
de la Caisse française des dépôts et consignations
(CDC). Dans sa principale disposition, cet accord prévoit
que chaque famille recevra en dédommagement un million
de dollars par victime, payables en quatre versements. Un quart
de cette somme doit être remis immédiatement tandis
que les trois autres paiements seront étalés sur
six mois. L’argent sera versé à une fondation
spécialement créée à Paris qui le
remettra ensuite aux proches des victimes. Dix-sept personnes,
représentant 11 familles françaises et africaines,
étaient présentes lors de la signature de l’accord.
Cette signature met fin à près de deux années
de négociations entre les proches des victimes de l’attentat
qui avait coûté la vie en 1989 à 170 personnes
de 17 nationalités différentes –parmi lesquelles
54 Français– et la Fondation Kadhafi que le régime
de Tripoli avait chargé de régler cet épineux
dossier. Les deux parties étaient parvenues in extremis
le 11 septembre dernier à un accord de principe fixant
à un mois le délai pour trouver une solution concernant
le montant des indemnisations. Cet accord avait surtout permis
la levée le lendemain des sanctions des Nations unies
contre la Libye imposées au début des années
90. Mais les négociations avaient par la suite été
interrompues, le fils du colonel Kadhafi, Saïf al-Islam,
réclamant notamment que soit trouvée une solution
pour les six Libyens condamnés par contumace en 1999
à la réclusion à perpétuité
par la justice française. Le président Jacques
Chirac avait dû intervenir personnellement pour rappeler
aux autorités libyennes leurs responsabilités.
Les familles des victimes se sont félicitées
de la conclusion de l’accord. «C’est un geste
gratuit de la fondation Kadhafi et donc un signe de reconnaissance
et de réparation du peuple libyen», a ainsi déclaré
Guillaume Denoix de Saint Marc, insistant sur le fait qu’il
n’y avait eu «aucune contrepartie» à
l’accord signé. «Concernant le sort des six
Libyens, dont un beau-frère du président Kadhafi,
condamnés à la perpétuité en 1999,
leur sort est laissé à la justice française
qui doit statuer en toute indépendance», a-t-il
souligné. Il a en outre précisé qu’en
signant l’accord, les familles des victimes s’étaient
engagées à abandonner, comme cela avait été
convenu au début des négociations, toute poursuite
contre l’Etat libyen. Dans ce contexte, la plainte déposée
par l’association SOS Attentats devant la Cour européenne
des droits de l’homme n'est plus d'actualité. Me
Spizner a toutefois précisé qu'elle ne serait
retirée que si «le processus d'indemnisation est
mené à bien».
Vers une normalisation des relations
Paris-Tripoli
L’accord signé à Paris intervient six mois
après celui conclu entre la Libye d’une part et
les Etats-Unis et la Grande-Bretagne d’autre part concernant
un autre attentat perpétré contre un avion de
la Panam au-dessus du village écossais de Lockerbie.
Cette attaque terroriste avait coûté la vie à
270 personnes. Les autorités libyennes se sont engagées
à verser à chacune des familles des victimes dix
millions de dollars de dédommagements, une somme bien
supérieure à celle reversée aux proches
des victimes du DC-10 d’UTA. «La parité n’était
pas le but recherché», a ainsi tenu à préciser
Guillaume Denoix de Saint Marc, soulignant que «le montant
–accordé vendredi par la Fondation Kadhafi–
n’était pas du tout ridicule». Selon lui,
la différence d’indemnisation dans les deux cas
est moins importante qu’il n’y paraît dans
la mesure où une partie des sommes versées dans
le dossier Lockerbie sert à payer les avocats et que
chaque famille de victimes de cet attentat recevra au maximum
deux millions de dollars.
Certains observateurs font par ailleurs remarquer que ces familles
n’ont jusqu’ici touché qu’un tiers
des dix millions de dollars, somme qui a déjà
largement été amputée par les importants
frais d’avocats. Les deux tiers restants sont en outre
soumis à la condition que Washington lève avant
le 12 mai ses sanctions unilatérales contre le régime
de Tripoli et que la Libye soit rayée de la liste des
pays accusés de soutenir le terrorisme. Des conditions
auxquelles l’administration Bush ne donne pas l’impression
de vouloir se soumettre. Le président Bush a en effet
prolongé en début de semaine les sanctions américaines
soulignant que Tripoli devait poursuivre par «des mesures
concrètes» sa politique d’ouverture concernant
les armes non conventionnelles. La Libye avait créé
la surprise en annonçant fin décembre son intention
de renoncer à son programme d’armes de destruction
massive.
La conclusion de l’accord d’indemnisation pour
les familles des victimes de l’attentat contre le DC-10
d’UTA devrait permettre un rétablissement rapide
des relations franco-libyennes. Lors d’une conférence
de presse conjointe avec son homologue libyen, Abderrahmane
Chalgham, en visite officielle à Paris depuis jeudi,
le chef de la diplomatie française a ainsi estimé
que cet accord «ouvrait de nouvelles perspectives»
entre Paris et Tripoli. «Je me réjouis de cet accord
car il répond à l'exigence d'équité
qui est la nôtre depuis un an», a affirmé
Dominique de Villepin. Il a par ailleurs souligné que
la France était favorable à une «normalisation
progressive» des relations entre l'Union européenne
et la Libye. Cette normalisation, a-t-il ajouté, «nécessitera
le règlement de l'affaire relative à l'attentat
survenu en 1986 à la discothèque La Belle».
Trois personnes avaient été tuées et 260
autres blessées dans cet établissement de Berlin-Ouest
fréquenté essentiellement par les militaires américains.
Mounia DAOUDI
Article publié le 09/01/2004