Aux
termes de l'accord signé vendredi, qui ne parle pas d'«attentat»
mais d'«explosion», les familles de victimes toucheront
1 million de dollars chacune.
Par Véronique SOULE
Un accord d'indemnisation des victimes de l'attentat du DC 10
d'UTA a finalement été signé vendredi à
Paris entre les représentants des familles et la partie
libyenne. Il met fin à deux ans de négociations
souvent chaotiques et ouvre la voie à la normalisation
des relations entre Tripoli et Paris.
Selon l'accord, chacune des 170 familles des victimes de l'attentat
du DC 10, qui avait explosé le 19 septembre 1989 au-dessus
du désert du Ténéré (Niger), recevra
1 million de dollars, en quatre versements étalés
sur six mois. La fondation Kadhafi, qui a mené les négociations
côté libyen et qui est présidée par
un fils du colonel, Saïf al-Islam, a signé vendredi
un premier chèque de 42,5 millions de dollars (le quart
des 170 millions). Le représentant du collectif des familles
des victimes, Guillaume Denoix de Saint-Marc, signataire côté
français avec SOS Attentats, a souligné que cet
accord était «gratuit», sans contrepartie
diplomatique.
«Explosion». Les familles des victimes
qui l'accepteront devront toutefois s'engager à «se
désister de toute action en justice future».
Circonspect après les fausses promesses passées
des Libyens, SOS Attentats a annoncé qu'il ne retirerait
sa plainte contre Kadhafi à la Cour européenne des
droits de l'homme qu'«une fois que l'accord sera complet
et rempli.»
La partie française a fait de sérieuses concessions.
Au dernier moment et contre toute attente, les Libyens ont exigé
- et obtenu - un versement échelonné des compensations.
Surtout, il n'est nulle part fait mention dans le texte du mot
«attentat», le terme utilisé étant
«l'explosion de l'avion». «Cela
a été un cas de conscience, reconnaît Valéry
Denoix de Saint-Marc, avocat des familles des victimes. Fallait-il
exiger le mot attentat au risque de tout bloquer à nouveau
? Ou céder, estimant qu'il fallait privilégier le
retour de la Libye dans la communauté internationale comme
le meilleur moyen de la dissuader de recourir de nouveau au terrorisme
? Nous avons opté pour la seconde solution.»
Comparé à l'indemnisation des victimes américaines
et britanniques de Lockerbie, cet accord est défavorable.
Le rapport est de un à dix si l'on prend les montants globaux.
Mais si on tient compte du fait qu'une seule tranche a été
versée pour Lockerbie (les autres étant conditionnées
à des gestes du gouvernement américain), le rapport
passe de un à deux. Une dizaine de familles de victimes
congolaises a néanmoins annoncé qu'il était
«hors de question d'accepter moins que les 10 millions
de dollars payés pour les Américains».
«Indécent». La critique la
plus lapidaire est venue de l'avocat de la veuve du pilote du
DC 10, Georges Raveneau, pour qui «cet accord est indécent».
«Nous nous battions pour la reconnaissance de la responsabilité
libyenne, explique Olivier Decamp, qui regrette d'avoir été
tenu à l'écart des discussions. Si Tripoli accepte
de payer, c'est bien qu'il reconnaît une implication. Mais
avec cet accord tout en chinoiseries, on continue de se moquer
de la mémoire des victimes.»
Le ministre français des Affaires étrangères,
Dominique de Villepin, et son homologue libyen, Abderrahmane Chalgham,
ont par ailleurs paraphé une déclaration conjointe,
promettant de relancer les relations bilatérales et le
dialogue «5+5» qui regroupe l'Europe du Sud
et le Maghreb. «C'est un moment important qui ouvre
de nouvelles perspectives pour les relations entre nos deux pays»,
a déclaré Villepin. Le ministre libyen a de son
côté vanté l'«esprit de réconciliation
entre la France et la Libye». Les chefs de la diplomatie
se sont félicités du renforcement attendu des liens
économiques, notamment dans le secteur pétrolier,
où Paris espère revenir. Chalgham a ensuite été
reçu par Jacques Chirac à l'Elysée.
A Savoir
a Libye historique Siège de comptoirs grecs et phéniciens,
conquise par les Romains, les Byzantins et les Turcs. Colonie
italienne en 1912. Indépendante en 1951 avec à sa
tête le roi Mohammad Idris al-Senoussi, déposé
le 1er septembre 1969 par le colonel Kadhafi. En 1977, Kadhafi
proclame la Jamahiriya arabe populaire et socialiste, qui prétend
conférer au peuple le «pouvoir direct».
Pétrole et gaz constituaient, en septembre 2003, environ
90 % des recettes en devises de la Libye, membre de l'Organisation
des pays producteurs de pétrole (Opep), avec un quota de
production de 1,3 million de barils par jour. Les réserves
prouvées du pays sont de 30 milliards de barils, soit 3
% du total mondial.
Plus de 14 ans de procédure
19 septembre 1989 une valise piégée détruit
le DC 10 d'UTA assurant le vol Brazzaville-N'Djamena-Paris au-dessus
du Ténéré (Niger). 170 morts dont 54 Français.
Octobre 1991 mandats d'arrêt contre trois diplomates libyens
et un membre des services secrets.
10 mars 1999 six suspects sont condamnés par contumace
à Paris à la réclusion à perpétuité.
Beaucoup plus pour Lockerbie
Tripoli s'est engagé en août à verser 2,7
milliards de dollars aux familles des 270 victimes de Lockerbie
(1988), soit 10 millions par famille. Un premier versement a déjà
été fait : 4 millions de dollars par famille (moins
50 % pour les frais d'avocats et les impôts).
«La Libye est certaine de l'innocence des six Libyens
(condamnés à perpétuité pour
l'attentat du DC 10 d'UTA, ndlr). Nous demandons au gouvernement
français de leur donner la possibilité de se défendre.»
Saleh Abdoul Salam, directeur de la fondation Kadhafi
|