La
peur d'une attaque américaine n'explique pas à elle
seule son attitude.
Par José GARÇON
Il était le Guide de «l'Etat des masses»,
l'infatigable pourfendeur de «l'impérialisme»,
le héraut du «panarabisme», cumulant
neuf «unions» concrétisées
ou éconduites avec les «frères arabes»,
le financier de tous les «révolutionnaires»
des plus fumeux aux mouvements de libération des
cinq continents entretenus grassement dans les années
70 et 80 grâce à la manne pétrolière.
Trente-quatre ans de règne plus tard, le jeune «officier
libre unioniste», qui accéda au pouvoir le 1er
septembre 1969, à 27 ans, après le renversement
de la monarchie, paraît revenu de tout. Mouammar Kadhafi
a 62 ans et affirme ne vouloir être désormais qu'un
«messager de la paix». Une image aux antipodes
d'un activisme qui lui a mis à dos la plupart des Etats
de la planète et l'a fait déraper dans des activités
terroristes contre Paris, Rome, Vienne ou Berlin-Ouest.
Traumatisme. Pourquoi ce pragmatisme, dont la manifestation la
plus spectaculaire aura été l'accord, le 19 décembre,
sur le démantèlement «sous contrôle
international» de tous ses programmes secrets d'armement,
lui qui avait fait d'énormes investissements dans ce domaine
? «Ces armes, aurait-il dit récemment, n'augmentent
en rien notre sécurité et retardent même notre
développement.» On aurait cependant tort de
considérer cette sagesse comme soudaine. Ou seulement concomitante
avec la crainte par ailleurs bien réelle créée
par la guerre contre l'Irak chez un colonel Kadhafi convaincu
de pouvoir être la prochaine cible de Washington.
L'évolution de celui que la presse aimait à appeler
«le bouillant colonel» mature en réalité
depuis dix, voire quinze ans. Le bombardement de Tripoli et de
Benghazi, ordonné par Ronald Reagan en avril 1986, en riposte
à l'attentat antiaméricain de Berlin, avait mis
un coup d'arrêt à sa frénésie «révolutionnaire».
Cette attaque, dans laquelle sa fille adoptive fut tuée,
a été un terrible traumatisme pour le «guide»
de la Jamahiriya. Il ne renonce certes pas immédiatement
à frapper les intérêts occidentaux, comme
le montrent les attentats de Lockerbie et du Ténéré.
Mais la convergence avec le début de sérieuses difficultés
internes et ses défaites militaires au Tchad lui impose
des révisions déchirantes.
Fervent propagateur de l'islam dans le monde, le colonel affronte
en effet chez lui, à partir des années 90, de véritables
rébellions islamistes armées, notamment dans la
région de Benghazi. Elles ne sont étouffées
qu'au prix d'une répression violente. La chute des prix
du brut, qui contraint Kadhafi à revoir sa politique égalitariste,
provoque le mécontentement d'une population qui s'était
habituée au bien-être matériel. L'embargo
de l'ONU, décrété en 1992, après les
attentats de Lockerbie et du Ténéré, ne fait
qu'aggraver les choses... et la corruption des élites,
qui ne se privent pas d'en profiter. Il accentue d'autant plus
les problèmes intérieurs qu'il limite les exportations
pétrolières de Tripoli. En janvier 2000, devant
le Congrès général du peuple, Kadhafi s'emporte
: «J'interviens aujourd'hui pour arrêter cette
roue qui tourne dans le vide et qui brûle notre pétrole
[...]. Vous le vendez à ceux qui l'utilisent pour vous
vendre des produits très chers. Le revenu du pétrole
doit être uniquement destiné aux infrastructures
[...]»
La peur que les Etats-Unis lui inspirent, surtout après
le 11 septembre, le désir d'éliminer tout prétexte
pouvant leur servir pour intervenir, et la volonté de sortir
de l'isolement font le reste. Kadhafi condamne immédiatement
l'attaque contre le World Trade Center, tandis que, en août
dernier, son fils Saïf al-Islam affirme : «Il nous
faut ouvrir un dialogue avec l'Amérique et améliorer
nos relations avec elle, parce que toute la région dépend
de sa politique.» Désormais, la Libye
via la fameuse fondation Kadhafi que dirige Saïf agit
comme médiatrice dans les conflits opposants certains groupes
extrémistes et les Etats occidentaux : touristes européens
enlevés à Jolo par des islamistes d'Abou Sayyaf,
otages européens enlevés dans le Sahara algérien...
«Déçu» par les Arabes. Toutefois,
si l'embargo de l'ONU a été levé en septembre,
les Etats-Unis maintiennent leurs sanctions unilatérales
et l'inscription de la Libye sur leur liste des «Etats
qui soutiennent le terrorisme». Or, lancée dans
des réformes économiques ambitieuses, la Libye a
un besoin pressant d'investissements étrangers dans d'autres
secteurs que les hydrocarbures. Particulièrement pour renouveler
sa flotte aérienne.
Enfin, la volonté du colonel Kadhafi «déçu»
par les Arabes avec lesquels il «rompt définitivement»
en octobre , de jouer un rôle en Afrique exige une
vraie réconciliation avec la France, longtemps excédée
par ses interventions au Tchad. Last but not least, le leader
libyen a sans doute une autre préoccupation en tête
: préparer sa succession, au profit de son fils Saïf
al-Islam. Et donc être tranquille sur les autres fronts.
Jos
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