Edito international du 12/01/2004
Après l'accord conclu avec Paris et les familles des
victimes de l'attentat contre le DC-10 français d'UTA,
Tripoli poursuit ses efforts de normalisation. Après
avoir annoncé, le 19 décembre dernier, à
la surprise générale sa volonté de renoncer
à tout programme d'armes nucléaires, chimiques
et bactériologiques, le régime libyen s'apprête
à accueillir les inspecteurs de l'AIEA, l'Agence internationale
de l'énergie atomique. Les inspecteurs internationaux
qui avaient achevé -au début de l'année-
une première mission exploratoire doivent ouvrir, cette
semaine à Tripoli, un bureau permanent.
Présentée comme une grande victoire des diplomaties
américaine et britanique, cette évolution doit
être fortement relativisée.
En effet, estiment les experts les plus fiables, les armes de
destruction massives libyennes sont quasiment. inexistantes.
Certes, une centrifugeuse et un laboratoire d'hexafluorure d'uranium
étaient bien en construction à Tadjoura, dans
la banlieue sud de Tripoli, mais ces installations n'auraient
pu être opérationnelles avant une quinzaine d'années.
Et dans l'éventualité de la finalisation d'une
arme nucléaire, aucun vecteur -avion ou missile- ne pourrait
être en mesure d'emporter une telle arme.
Au chapitre chimique: quelques récipients contenant de
faibles quantité de gaz moutarde continuent de se dégrader
dans trois dépôts du désert libyen; les
experts internationaux estimant que Tripoli ne dispose d'aucune
capacité bactériologique.
En dépit de cette menace très relative, les Etats-Unis
ont reconduit pour six mois leurs sanctions et ne reconnaissent
toujours pas le passeport libyen, même si plusieurs compagnies
pétrolières texanes sont d'ores et déjà
à pied d'oeuvre à Tripoli. Cherchant absolument
à capitaliser cette volonté de normalisation libyenne
dans le cadre de leurs difficultés irakiennes, Washington
et Londres veulent supplanter l'AIEA et l'OIAC -l'Organisation
de l'interdiction des armements chimiques- en revendiquant le
contrôle des mécanismes internationaux de vérification
du désarmement libyen.
L'un des fils du colonel Kadhafi a pourtant démenti,
ce week-end, l'ouverture d'un bureau américain en Libye,
estimant que les partenaires légitimes du désarmement
demeurent l'AIEA et l'OIAC. Au bout du compte la mise en oeuvre
de la normalisation libyenne constitue un certain échec,
sinon un échec certain de la politique américaine
de remodelage et de démocratisation du Proche-Orient.
A l'image de l'Iran, en faisant des concessions mineures qui
ne portent pas à conséquence, la Libye du colonel
Kadhafi assure ainsi la survie et la reproduction de son régime
politique.
A terme, Tripoli, Téhéran et Damas -qui poursuit
sa collaboration anti-terroriste avec Washington- pourrait tirer
leur épingle d'un jeu proche-oriental qu'on pourrait
résumer par la célèbre formule de Lampedusa:
«tout changer pour que rien ne change».