L'accord franco-libyen sur le DC-10 d'UTA n'est rien en
comparaison des pressions américaines pour s'implanter dans
le pays. Révélations.
Jean Guisnel
Certes, la Libye a fini par signer le 9 janvier l'accord de dédommagement
réclamé par les familles des victimes de l'attentat
du DC-10 d'UTA après avoir renoncé officiellement,
quelques semaines auparavant, à son programme d'armes de
destruction massive (ADM). Mais le succès français
ne doit pas masquer une évidence : les Américains
gardent la maîtrise du jeu. Car le ralliement libyen aux
exigences internationales sur les ADM n'est que la partie émergée
de l'iceberg. Cette renonciation est associée à
d'autres accords secrets avec les administrations américaine
et britannique.
De sources concordantes, Le Point a appris que les négociations
secrètes sur les ADM ont été conduites dès
la mi- octobre 2003 par une délégation américaine
qui avait à sa tête le secrétaire d'Etat adjoint
pour les Affaires moyen-orientales, William Burns. La question
des armements interdits n'y aurait été abordée
que très rapidement, les Américains exigeant des
Libyens plusieurs autres conditions. La première concerne
le rappel et le remplacement de 46 ambassadeurs libyens en poste
dans le monde. La seconde, le renvoi de l'administration libyenne
de 180 responsables, dont le beau-frère du colonel Kadhafi,
Abdallah Senoussi, et le chef des services secrets, Moussa Koussa.
Tout ou partie de ces conditions aurait été accepté.
Autre exigence de Washington : l'ouverture de discussions «
à haut niveau » avec Israël. De fait, elles
se seraient secrètement tenues durant la dernière
semaine de décembre, à Paris, entre un représentant
du ministère israélien des Affaires étrangères,
Ron Proshor, et un intermédiaire libyen non identifié.
Lorsque la chaîne de télévision israélienne
Channel One a révélé ces contacts le 6 janvier,
ils ont été confirmés en Israël, mais
démentis à Tripoli, qui les a qualifiés d'«
imaginaires et improbables ».
Le volet économique, enfin. Les Américains auraient
reçu des assurances sur deux points : leurs sociétés
pétrolières pourraient retourner en Libye et Tripoli
se porterait acquéreur d'un système américain
de contrôle aérien militaire, de préférence
à celui proposé par les Français de Thales.
Lesquels n'auraient plus comme lot de consolation que le système
de contrôle civil. Cette ouverture libyenne permettrait
aux Etats-Unis de contrôler l'ensemble du trafic militaire
du Moyen-Orient, à la seule exception de la Tunisie. Détail
piquant : toutes ces négociations secrètes auraient
été conduites dans les villas réquisitionnées
des représentants commerciaux de deux entreprises européennes
; l'une serait la firme pétrochimique autrichienne OMV
AG, l'autre une grande firme... française !
Quant aux Britanniques, ils avaient déjà bien avancé
leurs discussions commerciales au détriment des Français.
Le Point révélait le 2 janvier que des négociations
avaient été conduites de longue date avec la firme
aéronautique BAe, sous couvert de prospections de contrats
civils.
Des contrats en or
Nous pouvons aujourd'hui ajouter que ces discussions concernent
en outre la modernisation de toute l'armée de l'air libyenne,
que les Français espéraient ouverte à leur
avion Rafale. Dick Evans, le patron de BAe, se serait déplacé
en personne à Tripoli. Ce négociateur hors pair
a déjà conclu avec les Saoudiens le gigantesque
contrat d'armement Al- Yamamah. On estime de source diplomatique
française que l'objet de sa mission sur place concerne
l'achat, par la Libye, de 45 chasseurs-bombardiers Eurofighter,
de 15 quadriréacteurs de transport RJ-100, auxquels pourraient
s'ajouter 26 Airbus (2 A340, 14 A320, 8 A330, 2 avions-cargos).
Tout restant à faire en Libye, la Grande-Bretagne propose
en outre un plan de dix ans pour la remise en état des
infrastructures aéroportuaires et la mise en place de réseaux
de télécommunications. On considère de source
proche des services de renseignements français que toutes
les entreprises anglo-américaines concernées, tout
comme un certain nombre de firmes italiennes et allemandes, ont
donné leur accord pour financer la fondation Kadhafi à
hauteur de 2 ou 3 % de la valeur des contrats négociés
© le point 16/01/04 - N°1635 - Page 48 - 640 mots
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