victimes attentat

(Mardi 10 février 2004)

Blair s’annonce à Tripoli


Le chef de la diplomatie libyenne, Mohamed Abderrahmane Chalgam est le premier dignitaire libyen de son rang à se rendre en Grande-Bretagne depuis l'arrivée au pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi, en 1969. Cette visite historique est l’occasion pour Londres d’annoncer la venue de Tony Blair en Libye, «dès que possible», d’ici la fin de l’année selon le quotidien économique Financial Times. Ce retour de la Libye dans le giron international intervient après l'indemnisation, l'an dernier, des familles des victimes britanniques de l'attentat de Lockerbie (1988), mais elle consacre surtout les discrètes négociations entamées en mars 2003 entre Tripoli, Londres et Washington. Celles-ci se sont soldées, le 19 décembre dernier, par la tonitruante annonce de Tripoli renonçant à son programme de développement d'armes de destruction massive (ADM). Depuis, Américains et Britanniques ont multiplié les bons points à l’endroit du colonel Kadhafi qui recevait aujourd’hui le Premier ministre italien Silvio Berlusconi. En attendant, pétrole et avions de chasse sont au menu d’une nouvelle donne en Méditerranée.


Londres a renoué des liens diplomatiques avec Tripoli en 1999 en échange du jugement des deux Libyens accusés dans l’attentat de Lockerbie. Mais aucun échange diplomatique conséquent n’avait rompu la glace depuis lors. Aujourd’hui, les rencontres entre Mohamed Shalgam, Tony Blair et Jack Straw (secrétaire du Foreign Office) servent de prélude à une visite à Tripoli du Premier ministre britannique, «dès que possible». Mais cette manifestation ostensible du réchauffement diplomatique entre les deux pays officialise aussi le tournant stratégique voulu aussi bien par Tripoli que par Washington. En gage, après des années d’isolement et de diatribes anti-américaines, La Libye ouvre ses arsenaux aux experts de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui sont déjà sur place. Mouammar Kadhafi rengaine son petit livre vert tandis que George W. Bush salue le bon élève que Washington voulut un temps écraser sous les bombes. Non seulement la Libye n’est plus infréquentable, mais surtout elle entre sur l’échiquier américano-britannique en Méditerranée, avec, en perspective, l’acquisition du système militaire américain de contrôle aérien ou de chasseurs britanniques Eurofighters, la modernisation de son armée de l’air et le retour des pétroliers américains.

Jack Straw le dit lui-même, la visite d’Abdel Rahman Chalgham est «historique». «Une vraie percée» diplomatique a renchéri l'invité libyen. «Nous sommes maintenant en mesure d'établir une relation fructueuse et bénéfique pour chacun» des deux pays, a expliqué le chef de la diplomatie britannique au sortir de l’entrevue de son homologue libyen avec Tony Blair, mardi matin. Abdel Chalgham a remis une lettre du colonel Kadhafi au Premier ministre britannique dont la visite en Libye va être programmée prochainement. «Nous sommes tombés d'accord ce matin sur le fait que la coopération sera développée pour résoudre les questions encore en suspens concernant le meurtre de la femme policier Yvonne Fletcher», a fait savoir Jack Straw. La mort d’Yvonne Fletcher avait été invoquée comme motif de la rupture diplomatique décidée par Londres en 1984. La victime avait été tuée par des balles tirées depuis l'intérieur de l'ambassade de Libye à Londres, devant laquelle se déroulait une manifestation. Avant d’effacer cette dernière ombre au tableau diplomatique, Tripoli avait fait amende honorable, de manière sonnante et trébuchante, en versant 2,7 milliards de dollars aux familles américaines et britanniques des victimes de l'attentat contre l’avion de la Pan Am qui a explosé au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie. Mais surtout, à l’issue de neuf mois de négociations «secrètes» avec Londres et Washington, Mouammar Kadhafi avait annoncé en décembre sa volonté d'abandonner tout programme d'ADM.

Plus près de Washington, plus loin de Paris

A Londres, l’envoyé du colonel Kadhafi assure que son pays «n'a jamais décidé de produire» des armes de destruction massive (ADM), même si, dit-il, «nous avons eu l'équipement, nous avons eu les matières premières, le savoir-faire et les scientifiques». Pour sa part, estimant que Kadhafi voulait «se sentir important», le président égyptien Hosni Moubarak avait affirmé en décembre qu'il savait «personnellement» que la Libye ne possédait pas d'ADM. Une pique lancée sans doute à la nouvelle concurrence qui se dessine dans le pré-carré américain. En tout cas, aujourd’hui, les experts occidentaux suggèrent que Tripoli leur aurait remis les plans de construction de têtes nucléaires achetés au père du programme nucléaire pakistanais, Abdul Qadeer Khan, qui vient fort opportunément de s’en excuser. Enfin, pour couper court aux commentaires suggérant que la Libye a décidé de sortir de «l’axe du mal» au vu de l’intervention américaine en Irak, Abdel Rahman Chalgham affirme aussi que cette décision «ne nous a pas été imposée», expliquant que «nous voulons que les Américains, les Britanniques nous aident. C'est plus bénéfique pour nous». De son côté Jack Straw salue «le pas courageux» de la Libye, une annonce qui lui «a ouvert la voie à une réintégration dans la communauté internationale» et qui devrait «bénéficier à toute la région et faire du monde un endroit beaucoup plus sûr». Tandis que Londres exprimait son satisfecit, le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, faisait escale à Syrte, pour une entrevue avec le colonel Kadhafi.

Premier dirigeant occidental à se rendre en Libye depuis le cadeau de Noël libyen concernant les ADM, Silvio Berlusconi tient à ce que le colonel Kadhafi sache que «l'Italie est un pays ami et qui désire le rester. Le passé est loin». C’est du reste la deuxième fois qu’il fait le voyage en quinze mois et aujourd’hui, il s’agissait notamment de discuter de questions purement bilatérales en forme de marchandages. A la Libye qui lui réclame des dommages et intérêts pour la période d'occupation italienne (1934-1945), Silvio Berlusconi fait en effet valoir les quelque 850 millions d'euros de créances qu’elle doit à une centaine d'entreprises italiennes, mais aussi le problème de l'immigration clandestine, Rome accusant Tripoli d'être la plaque tournante d’un trafic. Au passage, le chef du gouvernement italien, proche allié de George Bush, se charge de vérifier la réalité des engagements libyens concernant les ADM. Une mission dont il attend visiblement qu’elle lui rapporte autant, sinon plus, qu’elle lui coûte. Silvio Berlusconi a d’ailleurs déjà promptement revendiqué un rôle dans la décision de désarmement libyenne. Il milite désormais en faveur d’un partenariat sécuritaire privilégié entre l'Otan et les pays de la Méditerranée et annonce que la Libye est favorable à ce projet dont l’objectif serait de «renforcer et améliorer les relations politiques et militaires avec Israël et certains pays arabes».

La Libye a déjà participé à des tractations à Paris, fin décembre, avec Israël. Et, le 6 février, des entretiens tripartites ont à nouveau réuni à Londres des officiels britanniques et libyens ainsi qu’une délégation américaine conduite par le secrétaire d'Etat adjoint Bill Burns. A la veille de la visite du chef de la diplomatie libyenne en Grande-Bretagne, les Américains ont répété que leurs bonnes dispositions seraient fonction des actes de la Libye concernant les fameuses ADM. En échange, ils prévoyaient l'ouverture d'une section des intérêts américains à Tripoli ou un assouplissement de l'interdiction faite aux Américains de se rendre en Libye. Au même moment, sept parlementaires américains se retrouvaient à Tripoli sous la houlette du député républicain Curt Weldon. Une première depuis la rupture diplomatique de 1981, dans l’intention de «rechercher l’établissement de relations officielles entre les deux pays et le retour en Libye des entreprises américaines», selon Curt weldon. Les compagnies pétrolières américaines seront sans nul doute les premières à revenir.

Longtemps, Tripoli s’est efforcé de sauvegarder des relations avec Paris, malgré l’attentat contre le vol UTA. En changeant radicalement de cap, le colonel Kadhafi change aussi de partenaires et de fournisseurs. Il semble préférer désormais les Eurofighters de fabrication britannique, allemande, espagnole et italienne plutôt que les Rafales made in France.

Monique MAS
Article publié le 10/02/2004

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