Dans le contexte du retour en grâce de Tripoli
sur la scène internationale, Paris s’efforce de
rejoindre le mouvement afin d’éviter sa mise à
l’écart du marché libyen émergent.
Une délégation économique et commerciale
française achève une visite à Tripoli et
le fils du colonel Kadhafi sera reçu lundi soir par le
président de la république.
Pas de quoi créer une apocalypse nucléaire, mais
le geste est tout de même hautement symbolique de la volonté
de Tripoli d’honorer sans tarder ses engagements et de
son impatience à opérer son «come back»
sur la scène internationale. Le porte-parole du conseil
national de sécurité américain a annoncé
le départ samedi d’un port libyen, à destination
des Etats-Unis, d’un navire contenant la totalité
(cinq cents tonnes) du matériel relatif au programme
libyen d’armement nucléaire. La cargaison contient
les fameuses pièces des centrifugeuses destinées
à l’enrichissement de l’uranium ainsi que
les missiles à longue portée dont disposait la
Libye, et notamment cinq vecteurs de type Scud et leurs lanceurs.
Cet épisode entre dans le cadre des négociations
secrètes menées l’année dernière
entre la Libye, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, et révélées
en décembre, pour obtenir de Tripoli qu’il se débarrasse
de ses armes de destruction massive (ADM). Il intervient au
lendemain de la déclaration des autorités libyennes
indiquant à l’Organisation pour l’interdiction
des armes chimiques (OIAC), vendredi, leur possession d’un
stock de gaz moutarde (23 tonnes) et «des quantités
significatives» d’éléments entrant
dans la composition d’autres gaz, tels que le sarin. Ce
stock sera détruit sur place et l’opération
prendra plusieurs années, indique l’OIAC. Fin janvier,
déjà, la Maison Blanche avait annoncé le
transfert vers les Etats-Unis de 25 tonnes de composants destinés
à la production d’ADM.
Dans le même registre, d’autres échéances
sont programmées. Au cours de la semaine qui s’annonce,
la Libye devrait notamment signer le protocole additionnel du
Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).
Ce document permettra aux inspecteurs de l’Agence internationale
de l’énergie atomique (AIEA) de se livrer, sans
préavis, à des inspections des installations libyennes.
En échange de quoi, le retour en grâce de la Libye
sur la scène internationale, et auprès de Washington
en particulier, progresse à une vitesse spectaculaire,
compte tenu des relations calamiteuses qu’entretenaient
auparavant le colonel Kadhafi et ses ennemis intimes occidentaux.
Les Etats-Unis viennent d’autoriser l’ouverture
sur leur territoire d’une section d’intérêts
diplomatiques libyenne, première étape à
l’établissement de relations qui, tôt ou
tard, aboutiront à un échange d’ambassadeurs.
Aujourd’hui les sanctions imposées en 1981 n’ont
plus cours et les entreprises américaines peuvent à
nouveau travailler avec la Libye. Elles sont donc invitées
à réactiver leurs réseaux en toute légalité.
Enfin, la décision annoncée le 26 février
a été formellement confirmée vendredi :
les ressortissants américains peuvent à nouveau
utiliser leur passeport pour se rendre dans ce pays, ce qui
leur était jusqu’à présent formellement
interdit. L’avis rendu par le département d’Etat
continue toutefois de recommander la prudences aux citoyens
américains se rendant sur place en rappelant que la Libye
figure toujours sur la liste des pays soutenant le terrorisme,
même si ce soutien «semble avoir diminué»,
indique le document.
Dans la perspective du retour officiel annoncé des Américains
sur le marché pétrolier libyen (90% des recettes
en devises du pays), un ministre de l’Energie a pris place
dans le nouveau gouvernement de la Jamahiriya, annoncé
samedi. Le poste était vacant depuis cinq ans en raison
de la volonté du guide de la révolution de mettre
l’accent sur la diversification de l’économie
libyenne. Le nouvel interlocuteur des compagnies pétrolières
occidentales sera dorénavant l’expert Fethi Omar
ben Chetouane. Sa mission est de porter d’ici 2010 la
production à 2 millions de barils jour, contre 1,4 actuellement,
grâce à l’apport des capitaux étrangers.
La France soumise à rude concurrence
Les navettes d’officiels se succèdent à
Tripoli. Une délégation de sénateurs démocrates
américains a encore fait le voyage, la semaine dernière,
pour assister à la réunion annuelle du parlement.
L’organisation de défense des droits de l’homme
Amnesty international y est allé au début du mois,
elle aussi, et sa délégation y a été
reçue par Mouammar Kadhafi qui l’a assurée
qu’il appréciait ses commentaires et ses recommandations
!
De son côté l’Union européenne avance
à tâtons. L’intérêt de l’UE
est certes d’intégrer complètement la Libye
à ses projets de partenariat euro-méditerranéen,
de se joindre au mouvement général et de percevoir
la rétribution d’un rétablissement accéléré
de ses relations politiques, économiques et commerciales
avec Tripoli. Certains de ses Etats membres sautent d’ailleurs
allègrement les étapes, comme en témoigne
la récente visite sur place du président du conseil
italien Silvio Berlusconi. Mais l’Europe fait également
face à ses propres contraintes communautaires liées
aux contentieux non-résolus parmi ses Etats membres et
qui alourdissent la cadence générale. Sur ce terrain,
Paris semble vouloir accélérer le mouvement. Mais
ses relations avec Tripoli sont encore lourdement handicapées
par les cicatrices laissées par les conflits anciens
(la guerre du Tchad) et les derniers contentieux (l’attentat
contre le DC-10 d’UTA). Dans ce nouveau contexte la France
est soumise à rude concurrence et elle a du mal à
revenir sur un marché libyen tant sollicité aujourd’hui.
Elle s’est encore récemment vu préférer
des avions de chasse européens Eurofighters à
ses Rafales pour renouveler la flotte militaire libyenne.
La délégation française, conduite par
le ministre du Commerce extérieur, en visite à
Tripoli jusqu’à lundi, a donc pour mission de tenter
de rattraper le temps perdu. François Loos effectue la
première visite d’un ministre français sur
place depuis celle du chef de la diplomatie, Dominique de Villepin,
en 2002. Il est accompagné de nombreux patrons de grands
groupes et de petites et moyennes entreprises. «Nous examinons
des projets de partenariat dans les secteurs du pétrole,
du tourisme, de l’électricité et du dessalement»
de l’eau de mer, indique Mohammad Sayala, chargé
de la Coopération au ministère libyen des Affaires
étrangères, faisant part de satisfaction de son
pays face à cette évolution des rapports entre
les deux pays.
L’autre volet de se rapprochement franco-libyen aura
lieu lundi soir à Paris, où le président
de la république recevra le fils du numéro un
libyen, Saïf al-Islam Kadhafi, président de la Fondation
Kadhafi. C’est lui qui a été l’artisan,
pour la partie libyenne, de l’accord d’indemnisation
des familles des victimes de l’attentat contre le DC-10
d’UTA, en 1989. Un accord finalement conclu le 9 janvier
et censé lever les derniers obstacles à la normalisation
des relations entre les deux pays.
Georges ABOU
Article publié le 07/03/2004