Jacques Chirac ne s’est pas avancé à
fixer une date, mais il a répondu favorablement à
l’invitation à Tripoli lancée par le fils
de son homologue libyen le 8 mars dernier. En visite à
Paris, après son ministre des Affaires étrangères
en mars dernier, le Premier ministre libyen, Choukri Ghanem,
a déclaré lundi, à l’issue de son
entretien d’une heure avec le chef de l’Etat français,
que «le président Chirac nous a informés
qu'il allait effectuer une visite en Libye très bientôt,
inch allah». En attendant, la France et la Libye ont signé
des accords économiques pour aplanir le terrain des entreprises
pétrolières ou aéronautiques qui se pressent
au portillon libyen depuis l’annonce d’une levée
imminente des sanctions commerciales américaines.
Pour obtenir cette consécration française, après
celle des Britanniques marquée par la visite du Premier
ministre Tony Blair le 25 mars dernier, le turbulent colonel
Kadhafi a commencé fin 2003 par s’assagir face
à la démonstration en Irak du souci américain
concernant les armes de destruction massive réelles ou
supposées. Pour ne plus être qualifié de
«voyou», le chef de l’Etat libyen s’était
alors montré bon élève en mettant sur la
table ses acquisitions nucléaires et surtout leur fournisseur
pakistanais. Après maints marchandages, il s’est
également engagé en janvier dernier à payer
170 millions de dollars aux familles des victimes de l'attentat
contre le DC-10 de la compagnie française UTA qui avait
fait 170 morts en septembre 1989. La Libye désormais
fréquentable et ses relations atlantiques dégelées,
la visite du Premier ministre libyen représente selon
l’Elysée «un premier pas important dans la
normalisation et l'approfondissement de nos relations bilatérales».
Celles-ci sont même «en plein développement»,
souligne la présidence française, qui ne voudrait
pas rater le coche à destination d’un pays pétrolier
désormais très courtisé.
La Coface remboursée
Lundi, Paris et Tripoli ont paraphé un accord de protection
juridique des investissements français en Libye. Tripoli
s’est en outre engagée à régler les
quelque 44,4 millions d’euros d’arriérés
dus à la Coface, la compagnie française d'assurance-crédit
à l'export. Une convention de coopération culturelle,
scientifique et technique ainsi que des accords de coopération
dans les domaines touristique et universitaire ont également
été signés. Au total, l’or noir a
davantage coulé que l’alcool dans les cocktails
parisiens de Choukri Ghanem. Le Premier ministre libyen était
bien évidemment accompagné du président
de la National Oil Corporation (NOC) libyenne, Abdallah el-Badri
qui rencontrait d’ailleurs ce mardi les dirigeants du
pétrolier français Total. Le site aéronautique
d'Airbus, à Toulouse, dans le sud-ouest de la France,
est également à son programme, ce mercredi, avant
son envol pour Tripoli où la nouvelle de la prochaine
levée des sanctions économiques américaines
est déjà à la Une. Un coup de pouce supplémentaire
à la compétition entre les nouveaux amis de la
Jamahiriya libyenne.
La course aux hydrocarbures libyens relancée
Tripoli avait déjà obtenu la levée des
sanctions onusiennes en acceptant en août 2003 de verser
2,7 milliards de dollars (1,8 milliard d'euros) aux ayant-droits
des 270 victimes de l'attentat contre l’avion de la Pan
Am qui avait explosé au-dessus de la ville écossaise
de Lockerbie en décembre 1988. Cette fois, Washington
devrait lever les sanctions qui, depuis 1986, interdisent aux
entreprises américaines tout commerce avec la Libye «J'espère
que ce sera pour ce mois-ci, je ne sais pas quand, mais c'est
ce qui est prévu», claironne le ministre libyen
de l'Economie et du Commerce, Abdelkader el Kheir. «Cela
faisait partie des négociations et de l'accord avec les
Etats-Unis», ajoute le ministre libyen qui attend avec
impatience une mesure qui va en particulier permettre le retour
des pétroliers américains. La Libye pourrait néanmoins
rester inscrite sur la liste des Etats soutenant le terrorisme
jusqu’à l’élection présidentielle
de novembre prochain. Paris attend aussi peut-être une
ère politique intérieure plus sereine pour programmer
la visite de Jacques Chirac à Tripoli.
Après neuf mois de gestation américano-libyenne
en 2003, le retour de Tripoli dans le concert ordinaire des
Nations s’est considérablement accéléré
en 2004. La course aux hydrocarbures libyens est lancée.
Délivré des sanctions américaines pesant
sur certains de ses composants, Airbus peut également
rêver d’un décollage imminent. Pièce
importante du nouveau puzzle américain inscrit dans un
«grand Moyen-Orient» stratégique, la Libye
peut espérer consolider rapidement la normalisation de
ses relations avec Washington. En matière de géo-politique,
Paris devra se contenter d’un «dialogue politique»
avec Tripoli sur les questions africaines et euro-méditerranéennes.
Monique MAS
Article publié le 20/04/2004
Dernière mise à jour le 20/04/2004 à 15:56
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