BRUXELLES (AP) - Première visite en Europe depuis 15 ans
pour le chef de la Jamahirya libyenne. Moammar Kadhafi est arrivé
en grande pompe mardi à Bruxelles, reçu officiellement
par la Commission européenne et par le gouvernement belge,
pour une nouvelle étape de la normalisation en accéléré
entre Tripoli, il y a encore six mois paria de la communauté
internationale, et le reste du monde.
Le colonel Kadhafi, vêtu de son traditionnel
costume marron, coiffé d'un calot noir, est descendu d'une
limousine blanche devant le siège de la Commission européenne,
levant le poing en guise de salut devant une bruyante foule de
supporters et de détracteurs. Avant de poser pour les photographes
avec Romano Prodi, et de s'engouffrer dans le bâtiment,
serré de près par deux de ses célèbres
femmes gardes du corps en tenue de camouflage bleue.
Plus tard, une tente bédouine l'attendait
dans le parc de Val Duchesse, résidence royale de la banlieue
de Bruxelles où le gouvernement belge accueille les hauts
dignitaires en visite. Le dirigeant libyen devait dîner
avec le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, puis rencontrer
des hommes d'affaires et des députés avant de repartir
mercredi.
Cette visite historique découle de ce
que l'UE a qualifié de "progrès remarquables"
de Tripoli: la reconnaissance de sa responsabilité dans
l'attentat contre l'avion de la Pan Am au-dessus de Lockerbie
(270 morts en 1988), la renonciation à tout programme d'armes
de destruction massive, l'ouverture de ses portes aux inspecteurs
en nucléaire et la récente clôture, avec la
France, du dossier d'indemnisation des victimes de l'attentat
contre le DC-10 d'UTA au-dessus du Niger(170 morts en 1989).
Romano Prodi et Moammar Kadhafi, qui entretiennent
de longue date une relation privilégiée, travaillent
désormais à "la préparation du terrain
pour une normalisation complète des relations" entre
l'UE et Tripoli, notamment l'inclusion éventuelle de la
Libye dans les programmes euro-méditerranéens.
L'Europe cherche l'aide de Tripoli sur deux dossiers:
la lutte contre l'immigration clandestine et le processus de paix
au Proche-Orient. De l'Europe, Tripoli souhaite, comme le souligne
le ministre de l'Economie et du commerce Abdel Qader Khair, dans
les colonnes du quotidien allemand des affaires "Handelsblatt",
"pouvoir importer à nouveau de la technologie avancée
(...) plus important pour nous que l'embargo sur les armes".
De son côté, Washington, pressé
de diversifier sa dépendance pétrolière,
a levé la plupart de ses sanctions commerciales pesant
sur la Libye. Ce qui n'est pas le cas de l'Europe.
Car une querelle reste en suspens, le dossier
de l'attentat de 1986 contre une discothèque à Berlin
fréquentée par les soldats américains: trois
morts et 229 blessés.
La nature même du régime, notamment
son bilan en matière de droits de l'Homme, pose également
problème. Les responsables de l'UE comptent aborder le
cas de six travailleurs médicaux bulgares en prison à
Tripoli depuis 1999, accusés d'avoir délibérement
contaminé des centaines d'enfants avec le sida.
Enfin, Amnesty International, dont une équipe
s'est rendue en Libye en février pour la première
fois depuis 15 ans, dresse un noir bilan: Tripoli suit toujours
un "schéma de constantes violations des droits de
l'Homme" et entretient un "climat de peur", criminalisant
toutes les libertés fondamentales, d'expression et d'association,
détenant les dissidents au secret, avant de les juger lors
de "procès inéquitables". "La torture
et les mauvais traitements continuent d'être largement rapportés,
principalement pour obtenir des 'confessions'."
Lors de sa dernière visite en Europe,
en 1989, pour un sommet des non-Alignés à Belgrade,
le chef de la Révolution libyenne s'était livré
à une de ces diatribes dont il a le secret, contre les
juifs et le dollar américain.
AP
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