Le colonel-président de la Jamahiriya libyenne, Mouammar
Khadafi vient de franchir la porte européenne de Bruxelles
pour une visite officielle de deux jours. Sitôt son avion
posé dans un aéroport civil privé de la
capitale, il s’est rendu au siège de la Commission
européenne pour rendre au président italien de
l'exécutif européen, Romano Prodi, la politesse
faite par le Premier ministre italien Sylvio Berlusconi, dans
sa bonne ville de Syrte, en février dernier. Tunique
brune, chéchia noire et limousine blanche, Mouammar Kadhafi
avait dû réduire, à quelques gardes du corps
féminins et douze véhicules, le tonitruant cortège
qui accompagne généralement ses déplacements
en Afrique. Il s’est quand même offert une petit
«claque» de 100 à 200 personnes revêtues
de tee-shirts frappés de son portrait retouché.
Brandissant un poing victorieux, Mouammar Kadhafi a fait une
entrée agitée au siège de l'exécutif
européen, les services de sécurité retenant
à l’écart de ses oreilles quelques dizaines
de personnes scandant «Kadhafi assassin», «Kadhafi
terroriste».
Hier chef d’un Etat-voyou, Mouammar Kadhafi a mis les
bouchées doubles depuis l’année dernière
pour faire oublier ses frasques «révolutionnaires»
et les attentats contre des avions de ligne chargés de
passagers américains, britanniques, français ou
africains. Sa dernière invitation hors d’Afrique
ou du Moyen-Orient remonte à 1989, pour un sommet des
non-alignés à Belgrade, dans l’ex-Yougoslavie.
Au soir de ce 27 avril historique, le Premier ministre belge
Guy Verhofstadt lui déroule le tapis rouge de l’Occident
pour rejoindre la tente érigée dans les jardins
du château de Val Duchesse réservé aux hôtes
de marque du Royaume, délicate attention pour le Bédouin
pétrolier. «Nous espérons vivement que nous
ne seront pas obligé de revenir au temps où nous
piégions nos voitures, où nous ceinturions d’explosifs
nos lits ou nos femmes pour éviter d’être
poursuivis jusque dans nos chambres comme c’est le cas
aujourd’hui en Irak ou en Palestine», a menacé
Mouammar Kadhafi, exhortant les Occidentaux à ne pas
rater son «offre de paix».
Partenariat européen en Méditerranée
Empressée à Tripoli depuis 1999, l’Italie
préside la commission européenne. Restait quand
même à convaincre l’Irlande qui assure actuellement
la présidence de l’Union. A la veille de l’arrivée
de Mouammar Kadhafi à Bruxelles, le ministre irlandais
des Affaires européennes, Dick Roche, évoquait
encore des «problèmes en suspens», rappelant
en particulier un autre attentat terroriste perpétré
en 1986 à Berlin contre la discothèque La Belle.
Il avait fait trois morts, 260 blessés et encore des
factures à régler par Tripoli qui s’est
engagé à verser des dédommagements en août
2003. En matière de respectabilité humanitaire,
le ministre irlandais avait également évoqué
la détention en Libye de six Bulgares et d'un Palestinien
accusés d’avoir contaminé des enfants à
l’hôpital de Benghazi avec des produits sanguins
infectés par le virus du sida. Romano Prodi a balayé
le tout, se déclarant «pleinement confiant»
de la résolution de ces litiges «dans les prochaines
semaines». L’enjeu, c’est l’entrée
de la Libye dans le partenariat Euromed, entre l’Union
européenne et les riverains de la Méditerranée,
où elle doit pour l’instant se contenter d’un
statut d’observateur.
«Nous sommes engagés à faire de la Libye
un membre à part entière du processus de Barcelone
– Euromed – dès que possible», assure
Romano Prodi flanqué de Mouammar Kadhafi qui se veut
désormais «chef de file pour arriver à la
paix dans le monde». Habile, le chef de l’Etat libyen
souligne que «la Libye est un pont entre l’Europe
et l’Afrique. Mais elle doit être un pont pour la
paix et la coopération et pas un pont tel qu’elle
l’a été dans le passé», en
l’occurrence, un pont pour immigrants clandestins. Cette
partition, il l’a déjà jouée avec
Rome. Depuis juillet 2003 en effet, l’Italie et la Libye
ont signé un accord pour faire barrage aux flux de migrants
abordant les côtes siciliennes. Inutile de compter sur
les pays du Maghreb, dit en substance Kadhafi, «les pays
du nord de l’Afrique ne peuvent pas assurer la protection
des frontières sud de l’Europe… l’Union
européenne doit s’engager au sud de la Libye pour
arrêter l’immigration». Au-delà de
cette sécurisation des frontières européennes,
l’objectif de Mouammar Kadhafi, c’est de voir la
Libye rayée des listes américaines qui répertorient
«les Etats soutenant le terrorisme».
A Bruxelles, Mouammar Kadhafi rencontrera des hommes d'affaires.
Il est même invité par le Parlement belge qui a
réglé l’année dernière les
frictions diplomatiques un temps provoquées par les compétences
universelles es crimes contre l’humanité dont la
justice belge s’était fait le promoteur inédit.
Le législateur l’a recentrée dans un champ
moins menaçant pour les hôtes politiques du gouvernement
national ou de l’administration européenne. Pour
sa part, Amnesty International s’est invitée aux
fêtes données pour Kadhafi en publiant un rapport
qui l’accuse de torturer et d’exécuter des
prisonniers politiques. En élève appliqué
du droit international occidental, Mouammar Kadhafi avait pris
les devantss, ne tarissant pas d’éloges pour l’organisation
des droits de l’homme et s'engageant à supprimer
les tribunaux révolutionnaires libyens. C’est sans
doute une bien modeste concession pour un dirigeant qui a renoncé
à sa superbe et à ses équipements militaires
douteux désormais ouverts aux observateurs américains
et britanniques. Quant aux ayant-droits des victimes des attentats
contre les avions de la Panam et d'UTA, le colonel-président
a payé la facture.
Si l’Etat libyen demeure inscrit sur les listes noires
américaines, son chef n’est plus désormais
persona non grata et comme le rappelle inlassablement son ministre
des Affaires étrangères, Abdel Rahman Chalgham,
en allégeant les sanctions économiques bilatérales
le 23 avril dernier, le président américain George
Bush a levé «tous les obstacles» à
l'exportation de pétrole vers les Etats-Unis. Les relations
diplomatiques rompues depuis 1981 restent entravées par
l’interdiction des vols directs entre les deux pays et
les avoirs libyens aux Etats-Unis demeurent gelés. En
attendant de traverser l’Atlantique, Mouammar Kadhafi
célèbre son retour en grâce sur sa rive
européenne.
Monique MAS
Article publié le 27/04/2004
Dernière mise à jour le 28/04/2004 à 10:31
(heure de Paris)