Le 11 septembre 2001, le jour où le monde tremble, le
colonel Muammar Kadhafi fait une étonnante déclaration.
Il se solidarise avec ses «ennemis» américains:
«Malgré le conflit avec les Etats-Unis, c’est
un devoir humain de montrer sa sympathie avec l’Amérique,
avec le peuple américain, et d’être avec
eux lors de ces événements horribles qui doivent
réveiller la conscience humaine.» Il approuve
l’invasion de l’Afghanistan où Ben Laden
se cache et entraîne ses terroristes. Plus étonnant
encore, le colonel suggère aussi aux Etats-Unis de s’en
prendre à la banlieue de Londres… Kadhafi a sa
logique: c’est là où sont basés ses
opposants islamistes liés à Al-Qaida. Et qui tentent
depuis des années de l’assassiner, avec le discret
soutien de Londres et de Washington. Pour se venger, les services
libyens montent une opération qui échoue pour
des raisons logistiques, nous révèle une source
proche des services de renseignement occidentaux. Cinq agents
libyens infiltrés tentent d’assassiner Ben Laden
dans son fief afghan de Kandahar lors du mariage de l’un
de ses fils, Ahmed Ben Laden, en janvier 2001.
Ce sont bien les amis de Ben Laden qui, avec l’appui
anglo-saxon, ont initié ces opérations «homo».
Au mois de novembre 1996, selon un ancien agent secret britannique
chargé de l’Afrique du Nord, Londres organise avec
les islamistes libyens alliés de la nébuleuse
d’Al-Qaida un attentat contre Kadhafi (1). Le soir du
31 mai 1998, à Sidi Khilifa (Libye), Kadhafi échappe
à un feu nourri de tireurs embusqués islamistes
alors qu’en bon Bédouin qui déteste l’avion
il se rend en voiture en Egypte. Il est blessé au coude,
trois membres de sa garde sont tués. L’attentat
est revendiqué dans le quotidien de langue arabe «Al
Hayat», publié à Londres, par le Mouvement
islamique des Martyrs, branche armée du Groupe islamique
combattant, composé de quelque 400 Libyens «afghans»
opérant dans la région de Benghazi.
Dans la confrontation qui les oppose à Kadhafi, Washington
et Londres ont décidé d’instrumentaliser
les islamistes, comme ils le font alors contre l’URSS
en Afghanistan. Ils hébergent ces opposants à
Londres avec le soutien du MI 5, et sans doute aussi celui de
la CIA. Kadhafi réagit. Après les tentatives d’assassinat
contre le leader, des bombes explosent. Ces attentats sont attribués
aux services libyens. Même si, dans certains cas, comme
l’explosion du DC10 d’UTA qui tue 54 Français,
l’implication directe de Tripoli reste à démontrer.
Etouffé par un embargo décrété après
ces actions terroristes, le régime de Kadhafi voit la
contestation islamiste intérieure, nourrie par la crise
économique et sociale, prendre de l’ampleur. Dans
les années 1990, des affrontements armés, peu
médiatisés, opposent les forces du colonel aux
contestataires musulmans. Kadhafi arrive à réduire
la rébellion, militairement et politiquement, et desserre
l’embargo grâce à ses concessions à
la communauté internationale. Les attentats du 11 septembre
2001 vont lui donner l’occasion de se débarrasser
de la seule force capable de menacer son régime: Washington
ne bombarde pas la banlieue de Londres, mais les opposants libyens
sont placés sous surveillance, certains arrêtés
et expulsés vers Tripoli.
(1) «Ben Laden. La vérité interdite»,
par Guillaume Dasquié et Jean-Claude Brissard, Denoël,
2001.
Jean-Baptiste Naudet