victimes attentat

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(Mardi 12 octobre 2004)

L'embargo sur les ventes d'armes à la Libye est levé

LE MONDE | 12.10.04 | 13h32

Les Européens mettent un terme aux sanctions appliquées depuis les attentats de Lockerbie et du DC-10 d'Air France. Confrontée à l'afflux de réfugiés par mer, l'UE veut entamer avec Tripoli une coopération contre l'immigration illégale.

Bruxelles de notre bureau européen

La levée des sanctions commerciales imposées à la Libye par l'Union européenne (UE), en particulier celle de l'embargo sur les ventes d'armes, décidée lundi 11 octobre à Luxembourg par les ministres européens des affaires étrangères, marque l'aboutissement de la politique de réconciliation engagée depuis cinq ans à l'égard de Tripoli.

Ces sanctions avaient été décidées par les Nations unies dans deux résolutions de 1992 et 1993 puis par l'UE en application de ces résolutions, après le double attentat contre un Boeing américain au-dessus de Lockerbie (Ecosse) en 1988 et contre un DC-10 français au-dessus du désert du Ténéré (Niger) en 1989. Elles avaient été suspendues en 1999 après que le colonel Kadhafi eut autorisé des magistrats français à se rendre en Libye pour enquêter sur l'attentat du Ténéré puis accepté l'extradition de deux agents libyens accusés de celui de Lockerbie. Mais l'embargo sur les armes, qui datait de 1986, avait été maintenu.

La décision des Vingt-Cinq lève définitivement les sanctions commerciales, comme l'ont fait les Nations unies en septembre 2003, et met fin à l'embargo sur les exportations d'armes. Le conseil des ministres précise que ces exportations seront soumises à la fois au code de conduite adopté par l'UE en 1998 et à un régime transitoire plus strict, appelé boîte à outils, en cours de discussion.

L'amélioration des relations avec la Libye est entrée dans une phase décisive lorsque Tripoli, en décembre 2003, a annoncé sa décision de renoncer à ses programmes d'armes de destruction massive. En janvier 2004, la Libye s'est engagée à adhérer à la convention pour l'interdiction des armes chimiques puis, en mars 2004, elle a signé le protocole additionnel au traité de non-prolifération nucléaire, qui autorise les inspections inopinées. Enfin, elle a accepté d'indemniser les victimes des attentats de Lockerbie et du Ténéré, puis, en août, celles de l'attentat contre une discothèque berlinoise, La Belle. Dès lors, la réintégration de la Libye dans la communauté internationale était en marche.

En mars, le colonel Kadhafi a accueilli chez lui, sous une tente bédouine près de Tripoli, Tony Blair, premier chef de gouvernement britannique à se rendre en Libye depuis Winston Churchill en 1943. Il a été reçu un mois plus tard avec tous les honneurs à Bruxelles par le président de la Commission européenne, Romano Prodi. Les Etats-Unis ont levé une partie de leurs sanctions. Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, a salué, dans Le Monde du 19 mars, la volonté manifestée par la Libye de "revenir dans la communauté internationale".

C'est à la demande de l'Italie que les Vingt-Cinq ont finalement décidé de lever l'embargo sur les armes. Rome, qui fait face à un flot de réfugiés tentant de rejoindre ses côtes par la mer, vient en effet de conclure un accord avec Tripoli sur la lutte contre l'immigration clandestine. Ce plan suppose que la Libye soit dotée des équipements - avions, hélicoptères et vedettes rapides notamment - qui lui permettront d'assurer la surveillance et le contrôle des flux migratoires. Les Vingt-Cinq estiment que la coopération avec la Libye sur l'immigration est "essentielle et urgente" et appellent Tripoli à mener "une action effective" contre l'immigration illégale. Une mission technique sera envoyée en Libye pour examiner les moyens d'organiser ces opérations.

Les ministres appellent également à associer, dès que possible, la Libye au partenariat qui lie l'Europe à douze pays du sud et de l'est de la Méditerranée. Ce "partenariat euroméditerranéen", régi par le "processus de Barcelone", organise la coopération entre les participants. L'inclusion de Tripoli devrait, à terme, se traduire par la signature d'un accord d'association avec elle.

Tout en prenant acte de la volonté de la Libye de changer de politique et de se comporter d'une manière "responsable", les ministres européens n'en expriment pas moins certaines inquiétudes à l'égard de l'attitude de Tripoli.

ABUS DE LA JUSTICE

Ils rappellent que l'amélioration de la situation dans le domaine des droits de l'homme en Libye est un "élément essentiel" pour le développement de ses relations avec l'Union européenne. Ils font part de leurs préoccupations face aux "graves obstacles" apportés à la liberté de parole et d'association et mentionnent des "rapports crédibles" sur les abus de la justice : torture des suspects, erreurs judiciaires, conditions de détention inhumaines. Ils soulignent aussi leur opposition à la peine de mort.

Leur inquiétude immédiate concerne le sort de cinq infirmières bulgares et d'un médecin palestinien condamnés à mort en mai par le tribunal de Benghazi. Ils ont été accusés d'avoir diffusé le virus du sida dans un hôpital pédiatrique, causant la mort de 46 enfants et l'infection de 380 autres par le VIH, officiellement inconnu dans le pays. Les Vingt-Cinq invitent la Libye à réexaminer les preuves retenues et à considérer que la justice sera mieux rendue si les six sont libérés au plus vite. Claudie Haigneré, ministre déléguée française aux affaires européennes, a indiqué que les ministres resteraient " vigilants" pour "aboutir à une mesure de grâce". Par ailleurs, une aide sera apportée aux enfants infectés par le VIH hospitalisés à Benghazi. Il s'agit, précise la Commission européenne, d'adresser "un signal de solidarité" pour créer un climat plus favorable à la libération des condamnés.

Thomas Ferenczi

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.10.04

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