Muammar al-Kadhafi piaffait de récolter enfin les fruits
de son «geste» de décembre dernier: renoncer
à ses armes de destruction massives et à la recherche
nucléaire. Opter pour la soumission, était-ce
bien le bon choix? Tout semble aujourd’hui lui donner
raison. Rarement Bédouin n’aura été
si courtisé. Blair au printemps, Berlusconi en été,
Schröder pour l’automne et Jacques Chirac cet hiver.
Tripoli et Syrte — le fief du «Guide» —
sont un vrai festival des quatre saisons. Il n’y est plus
question que d’«amitié», de «coopération»
et d’«ère nouvelle».
La tendance s’est réellement affirmée après
le 11 septembre 2001. Le rapprochement avec les Britanniques
et les Américains, alors en gestation depuis deux ans,
est accéléré par la condamnation des attaques
terroristes par Tripoli. Une véritable aubaine pour les
Américains: un pays arabe, membre pérenne de l’«Axe
du mal», décide de se ranger aux recommandations
de l’Occident, légitime sa politique d’intervention
en Afghanistan et s’inscrit en plus dans la lutte contre
le terrorisme. En détruisant son programme d’ADM,
la Libye légitime la guerre en Irak, rendant un fier
service à l’administration Bush.
«Blair au printemps, Berlusconi
en été, Schröder pour l’automne et
Chirac cet hiver: Tripoli est un vrai festival des quatre saisons»
Un véritable pari pour le colonel, dont la volte-face
lui est vivement reprochée depuis lors, côté
arabe. «Traître», «vendu», celui
qui fut un temps le chantre du panarabisme — sans jamais
en récolter les fruits — achève de retourner
sa veste dans l’incompréhension régionale.
Mais désormais scellée: «La Libye a décidé
de se séparer du Moyen-Orient», rappelait encore
Seif al-Islam, le fils de Kadhafi, mercredi.
L’ex-symbole du terrorisme pouvait-il agir autrement?
Kadhafi est confronté à un gros problème
de survie de son système politique. Certes, les mouvements
d’opposition en Libye sont très faibles. Ils sont
globalement divisés et la grogne locale a été
réprimée. Seules les tribus pourraient déclencher
les hostilités, mais Kadhafi a réussi à
les neutraliser en les institutionnalisant en conseils municipaux,
les Chaabiyyates, dès 1998. D’autre part, le colonel
a affaibli l’armée, potentielle force du changement,
la doublant de comités révolutionnaires et bradant
ses revenus.
Reste la guérilla islamiste, seule alternative crédible
à son régime et contre laquelle il a particulièrement
lutté entre 1995 et 1998. Si de nombreux combattants
sont en prison, le mouvement reste fort car la cause —
le renversement du régime — dépasse les
clivages tribaux et géographiques.
Le déclenchement du jihad associé à l’isolement
international ont donc asphyxié la Libye, traçant
au Guide la voie à suivre: celle de l’extérieur.
Une voie royale, semble-t-il. L’ex-créateur du
Front des musulmans d’Afrique et défenseur de l’islam
prouve qu’il avait tout à gagner, plutôt
que de se réconcilier avec son opposition intérieure,
à pactiser avec l’étranger. Il a fait de
sa lutte contre l’islamisme le cheval de Troie de son
retour sur la scène internationale et la Libye est aujourd’hui
citée en «exemple».
Et le colonel profite de la bénédiction unanime
de la communauté internationale alors qu’il est
notoire que la Libye brille par ses violations quotidiennes
des droits de l’homme. Son pays, convoité, est
même offert aux enchères tandis que ses revenus
proviennent exclusivement de l’exportation d’hydrocarbures.
Il n’est plus question que de gazoducs, pipelines, forages
et autres promesses souterraines chiffrées en milliards
de dollars. La Libye est un pays d’avenir dont personne
ne veut être mis à l’écart. Dès
lors, Kadhafi, qui ne peut pourtant rien sans de gros investissements
européens et surtout américains, a même
l’arrogance de mettre à l’encan ses zones
d’exploration pétrolières.
Ce qu’il faut maintenant espérer, c’est que
la carte de la compromission avec l’ex-Etat voyou soit
aussi le bon choix des défenseurs de la démocratie
occidentale. Or, la Chine est un exemple d’échec
flagrant de la stratégie consistant à miser sur
le développement économique comme préalable
à l’ouverture politique. Pour que la Libye devienne
un contre-exemple, il faudrait que les richesses dégagées
ne bénéficient pas qu’à une élite
rentière du pétrole mais au peuple tenu à
l’écart.
Kyra Dupont Troubetzkoy
- Cheffe de la rubrique étrangère