victimes attentat

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(mardi 26 octobre 2004)

Les industriels attendent aux portes de la Libye et de la Chine

LE MONDE | 26.10.04 | 14h32

La levée de l'embargo sur les armes envers Tripoli, et peut-être envers Pékin, ouvre des marchés.


"Les chevaux piaffent" : c'est par cette image qu'un responsable de la Direction générale de l'armement (DGA) résume l'état d'esprit des industriels français, à la suite de la récente levée de l'embargo sur les armements à destination de la Libye, et face aux perspectives qu'offrirait une décision similaire en faveur de la Chine. La situation des deux pays est différente mais si Pékin devait profiter d'une levée de l'embargo imposé en 1989 il serait soumis, en France, aux mêmes arbitrages de la commission interministérielle d'exportation des matériels de guerre (CIEMG). Cet organisme discret autorise ou refuse toutes les exportations d'armements, "du pistolet au satellite, en passant par l'avion de combat Rafale", comme le souligne un expert.

Alors que l'embargo sur la Libye était total, la mesure appliquée à la Chine ne vise que les exportations d'armes létales, ce qui permet une souplesse d'interprétation, au profit des matériels duals (dont l'usage civil peut être détourné à des fins militaires). Ainsi, le général Cao Gangchuan, ministre chinois de la défense, qui a visité une usine d'Eurocopter la semaine dernière, a pu, en toute quiétude, formaliser l'accord par lequel la France et la Chine vont produire quelque 700 unités d'un nouvel hélicoptère de 6 tonnes.

"Nous ne serons pas là pour vérifier si les Chinois n'en font pas aussi un appareil de transport de troupes, et s'il est ou non armé", reconnaît un expert. La Chine, comme la Libye, s'efforce de présenter une image internationale plus respectable. "La Libye est aujourd'hui fréquentable, explique Olivier Rossignol, de la DGA, mais elle ne le sera tout à fait que lorsqu'un nouveau cadre politique aura été fixé, celui-ci entraînant un "cadre de défense" pour les exportations d'armement. Mais la levée de l'embargo ne signifie pas que l'on ouvre les vannes. Les exportations vont reprendre de façon progressive et contrôlée." C'est précisément le rôle de la CIEMG. Composée de représentants des ministères des affaires étrangères, de la défense, des finances, de l'intérieur et de la recherche, elle examine près de 1 000 dossiers par mois, dont 10 à 20 font l'objet d'un arbitrage des services du premier ministre. "Il y a quelques années, explique un haut fonctionnaire, la défense, encouragée par l'industrie de l'armement, poussait en faveur des exportations, alors que le Quai d'Orsay était plus moralisateur. Aujourd'hui, le Quai ne conteste plus que les contrats d'armement puissent favoriser l'action diplomatique, et réciproquement."


ANALYSE GÉOPOLITIQUE

La France a mis en place un régime considéré comme plus strict que celui en vigueur chez les Anglo-Saxons. "Le régime normal des exportations d'armement, c'est l'interdiction, l'autorisation n'étant qu'une dérogation", insiste Olivier Rossignol. Tous les ans, des "directives", intégrant un "facteur risque", sont établies pour chaque pays. "Il s'agit de règles ultraclassifiées qui ne sont connues ni des pays ni des industriels", précise un expert, qui reconnaît cependant que certains dossiers d'exportation "sont gérés de façon plus restreinte", une litote pour signifier que des critères plus politiques s'appliquent.

Ces "directives" font appel à une analyse géopolitique du pays et de la région considérés. Le souci est double : ne pas provoquer une déstabilisation régionale et ne pas mettre en danger les forces françaises en vendant des matériels de guerre à des pays "proliférants". Le travail de démarchage des industriels est lui aussi sévèrement encadré : toute autorisation de négociation et de prospection doit faire l'objet d'une autorisation préalable de la CIEMG. Pas question de remettre à un client potentiel des "éléments de prix engageants" sans un feu vert gouvernemental. Mais il existe, bien sûr, une zone "grise": le fait de rencontrer dans un hôtel un intermédiaire du ministère de la défense d'un pays africain ou asiatique n'est pas interdit, pourvu qu'aucune offre ne soit formalisée.

Une Libye débarrassée de son embargo attise bien des convoitises. "La plupart de nos industriels, Dassault, Thales, EADS, Sagem, s'agitent, et certains ont commencé leur lobbying, reconnaît un expert gouvernemental. D'autant qu'ils savent que la concurrence, notamment avec les Etats-Unis, l'Allemagne et l'Italie, va être rude." Chez Dassault et chez EADS, on affirme qu'aucune démarche n'a été engagée. Dassault a vendu 110 Mirage-V à Tripoli entre 1971 et 1974 et 38 Mirage-F1 : cette flotte, privée si longtemps de pièces détachées, va nécessiter une sérieuse modernisation, même si une grande partie des Mirage-V libyens ont été discrètement revendus au Pakistan.

En Chine, EADS cherche à faire d'une pierre deux coups : le contrat des hélicoptères doit aussi servir à s'attirer les bonnes grâces de Pékin pour vendre les Airbus A380. L'administration américaine a souligné qu'elle ne croit pas à l'efficacité du code de conduite de l'Union européenne en matière d'exportation d'armements qui serait appliqué à la Chine en cas de levée d'embargo. Les experts français ne le nient pas : "Le code de conduite est incitatif, reconnaît l'un d'eux, c'est un cadre de dialogue entre nous, rien de plus."

Laurent Zecchini

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 27.10.04

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