Charles
Lambroschini
[24 novembre 2004]
Le voyage de Jacques Chirac en Libye est une
illustration paradoxale du nouvel ordre mondial que dénonce
la France. Trois ans après la chute des tours de New York
sous les coups des kamikazes de Ben Laden, la politique internationale
ne semble plus obéir qu'à deux règles : la
loi du plus fort et la loi du plus riche.
Du jour où l'armée américaine
a envahi l'Irak pour abattre le régime de Saddam Hussein,
le colonel Kadhafi a compris que la Libye risquait d'être
le prochain des «Etats voyous» à abattre. La
raclée que Ronald Reagan lui avait infligée en 1986
n'avait pas suffi à l'impressionner. Alors que le raid
de l'aviation américaine contre Tripoli devait punir l'attentat
qui avait tué des soldats américains dans un dancing
de Berlin, Kadhafi n'avait pas hésité à riposter
en faisant sauter un avion de la Pan Am dans le ciel écossais.
Parce que George W. Bush, lui, ne se serait pas contenté
de représailles, Kadhafi s'est incliné devant la
puissance.
Au terme d'une négociation secrète
de neuf mois avec Washington et Londres, il renonça à
la bombe atomique. La France, tenue dans l'ignorance, était
bien mal récompensée des efforts qu'elle avait longtemps
poursuivis seule pour ramener la Libye dans le concert des nations.
L'irritation fut d'autant plus vive que Paris dut aussi batailler
pour que l'indemnisation des victimes de l'avion d'UTA, détruit
au-dessus du Niger, se rapprochât de ce qui avait été
payé aux familles de l'avion tombé en Ecosse. Pour
que son revirement soit crédible, Kadhafi ne pouvait faire
sa soumission qu'au président Bush.
Mais, pour obtenir l'absolution, mieux vaut être
solvable. Six fois moins peuplée que l'Algérie et
produisant la même quantité de pétrole, la
Libye attire forcément les investisseurs étrangers,
qu'il s'agisse d'exploiter de nouveaux gisements ou de rénover
des infrastructures réduites à rien par vingt ans
de sanctions des Nations unies. Un coupable misérable n'aurait
pas mérité l'indulgence.
Ces principes peuvent toutefois se retourner
lorsque, même pour les Etats-Unis, l'adversaire désigné
n'est pas assez faible. Ainsi pour l'Iran : sa marche vers l'armement
nucléaire est bien plus avancée que ne le fut jamais
celle de l'Irak et pourtant Bush n'ose pas s'y attaquer. Avec
près de 70 millions d'habitants et la capacité de
mobiliser contre les Etats-Unis aussi bien les chiites irakiens
que ceux du Liban ou du golfe Persique, ce pays est un trop gros
morceau à avaler. De plus, les installations nucléaires
ont été si largement dispersées à
travers l'Iran qu'une opération aérienne, comme
celle qui avait permis à l'aviation israélienne
d'éliminer le premier réacteur irakien en 1981,
ne réussirait sûrement pas. Autre exemple : la Corée
du Nord, peut-être abondamment dotée d'ogives sur
ses missiles, profite du doute. Parce que les GI déployés
au Sud risqueraient la vitrification, ce pays est devenu intouchable.
Face à l'«axe du Mal», George
W. Bush est donc le seul juge. C'est lui qui condamne et c'est
lui qui pardonne.
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