Luc
de Barochez
[24 novembre 2004]
Le président Jacques Chirac se rend aujourd'hui en Libye
pour sceller la normalisation avec un pays qui n'a pas hésité
dans les années 80 à recourir au terrorisme de masse
pour contrecarrer les ambitions de la France en Afrique. C'est
la première fois depuis l'accession au pouvoir du colonel
Mouammar Kadhafi, en 1969, et même depuis l'indépendance
du pays, en 1951, qu'un président de la République
française visite la Libye. L'occasion en est fournie par
le sommet de la francophonie à Ouagadougou. Jacques Chirac
s'arrête à Tripoli sur le chemin de la conférence.
Il ne se contente pas d'une simple escale puisqu'il y passe la
nuit. Le geste est appuyé.
La France veut tourner la page. Elle cherche à développer
sa coopération avec la Libye, surtout dans les domaines
économique et pétrolier. Les autorités françaises
considèrent que les conditions sont remplies. La Libye
a répudié le terrorisme. Elle a renoncé aux
armes de destruction massive. Elle a indemnisé les victimes
des crimes terroristes perpétrés dans les années
80. Avec 170 tués, l'attentat qui a détruit en vol
un avion de ligne de la compagnie UTA en 1989 au-dessus du désert
du Ténéré, au Niger, est le plus meurtrier
jamais perpétré contre des intérêts
français en temps de paix. Il s'agissait sans doute d'une
mesure de représailles contre la France, qui était
intervenue militairement, quelques années auparavant, pour
chasser les troupes libyennes du Tchad. Depuis la signature de
l'accord d'indemnisation, le 9 janvier, la Libye a versé,
en quatre tranches, la somme de 170 millions de dollars qu'elle
avait promise aux familles des tués.
Le prix du sang ayant été payé, la visite
du président français a pour but, selon l'Elysée,
«d'ouvrir un nouveau chapitre dans les relations avec un
grand pays maghrébin, méditerranéen et africain».
Jacques Chirac aura deux entretiens avec le colonel Kadhafi. Il
sera son hôte à dîner au palais de Bab Azizia.
Le déplacement du chef de l'Etat s'inscrit dans un mouvement
de rapprochement euro-libyen. Depuis le début de l'année,
il a été précédé à Tripoli
par les chefs de gouvernement britannique, italien et allemand,
Tony Blair, Silvio Berlusconi et Gerhard Schröder, ainsi
que par l'ancien président de la Commission européenne,
Romano Prodi.
Héritage d'années de brouille, les échanges
commerciaux franco-libyens sont proches du néant. Les importations
françaises, pour l'essentiel du pétrole, sont inférieures
à 800 millions d'euros. Les exportations ne dépassent
pas 300 millions. Jacques Chirac sera accompagné de trois
ministres, Michel Barnier (Affaires étrangères),
Gilles de Robien (Transports) et François Loos (Commerce
extérieur), mais aussi d'une vingtaine de chefs d'entreprise.
La France nourrit des ambitions dans l'énergie, l'équipement
civil, l'aéronautique, mais aussi le tourisme et l'environnement.
La levée, ces derniers mois, des sanctions prises par
l'ONU, puis de l'embargo européen sur les armes ont ouvert
des perspectives aux entreprises européennes. La Libye
est un pays potentiellement riche, avec plus de 30 milliards de
barils de réserves prouvées de pétrole. Elle
entend doubler sa production pour atteindre 3 millions de barils
par jour en 2010. La réalisation de cet objectif suppose
des investissements de 30 milliards de dollars. Sur un marché
dominé par les sociétés américaines,
la française Total «espère conclure des accords
avec les Libyens» dans l'exploration et l'ingénierie,
a indiqué l'Elysée.
Dans le domaine politique, Jacques Chirac va plaider pour l'intégration
des pays maghrébins et la maîtrise des flux migratoires
vers l'Europe. Il va tenter de surmonter la grande méfiance
entretenue par la Libye à l'égard du processus de
rapprochement Europe-Méditerranée. Il va surtout
chercher à ouvrir un dialogue avec Tripoli sur les questions
africaines, à propos desquelles la France et la Libye se
sont fréquemment opposées ces dernières années.
Dans l'entretien qu'il a accordé au Figaro (lire ci-contre),
le colonel Kadhafi se dit prêt à coopérer
avec la France à propos de l'Afrique mais il dénonce
l'intervention de l'armée française en Côte
d'Ivoire.
Jacques Chirac a aussi prévu d'exhorter Kadhafi à
respecter les droits de l'homme et à gracier cinq infirmières
bulgares qui ont été condamnées à
mort sous l'accusation d'avoir inoculé le sida à
des enfants. Le président doit quitter Tripoli demain en
milieu de journée pour le Burkina Faso. Dans ce pays voisin
de la Côte d'Ivoire, les dirigeants de 51 pays et régions
francophones du monde seront réunis jusqu'à samedi.
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