victimes attentat

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(Mercredi 24 novembre 2004)

Le président Chirac se rend en Libye pour "ouvrir un nouveau chapitre" avec le pays

LE MONDE | 24.11.04 | 14h07

Cette première visite officielle d'un président français à Tripoli intervient après l'indemnisation des victimes de l'attentat de 1989 contre un DC-10 d'UTA. Elle vise notamment à renforcer la coopération économique avec la France et politique avec les pays du pourtour méditerranéen.

Jacques Chirac devait dîner, mercredi 24 novembre, avec le chef de la Jamahiriya libyenne, à Tripoli, à l'occasion de la première visite officielle d'un président français dans ce pays depuis l'indépendance, en 1951. M. Chirac prend son tour après les chefs de gouvernement européens Tony Blair, José Maria Aznar, Silvio Berlusconi et tout récemment Gerhard Schröder, venus faire leurs politesses à Mouammar Kadhafi, depuis qu'il a choisi de devenir fréquentable. Les Etats-Unis ont, pour leur part, rétabli des relations diplomatiques avec ce pays, après une rupture de vingt-quatre ans, à l'occasion d'une visite du secrétaire d'Etat adjoint, William Burns, à Tripoli en juin.

Le changement de cap du colonel Kadhafi a été amorcé en 1999, lorsqu'il a commencé à reconnaître que des Libyens ou des membres des services de sécurité avaient été impliqués dans les attentats de Lockerbie (1988), du Ténéré (1989) et de Berlin (1986). Cette reconnaissance allait cependant encore donner lieu à plusieurs années de tractations avec les pays occidentaux concernés. En décembre 2003, la renonciation complète de la Libye à tous ses programmes d'armes de destruction massive et sa décision de se prêter à toute mesure de vérification levaient l'autre obstacle majeur au retour en grâce du colonel Kadhafi et à sa réintégration dans le concert international. La Libye sortait de l'"axe du mal".

Il restait à régler dans le détail les contentieux liés aux attentats des années 1980, en particulier l'indemnisation des familles des victimes. Et le chef de l'Etat libyen prit sur ce point plaisir à faire lanterner la France et l'Allemagne plus longtemps que les Britanniques et les Américains.

BESOIN D'INVESTISSEMENTS

Les trois conditions que Jacques Chirac mettait encore, le mois dernier, à un voyage en Libye - le versement complet des 170 millions de dollars promis aux familles des victimes de l'attentat contre le DC-10 d'UTA, l'indemnisation des victimes allemandes de l'attentat contre une discothèque, à Berlin, et la levée de l'embargo européen sur les armes - sont aujourd'hui remplies. La voie était donc libre pour une visite que l'entourage du président, à la veille de son départ, ne jugeait pas à l'abri de tout imprévu.

L'un des buts de cette visite est pour Jacques Chirac, comme pour tous ceux qui l'ont précédé, de mettre à profit, sur le plan économique, la levée des interdits internationaux qui frappaient précédemment la Libye, pays disposant de réserves de gaz et de pétrole, ayant de forts besoins d'infrastructures et désormais engagé dans des réformes vers l'économie de marché. Les échanges sont actuellement très modestes et les investissements français en Libye sont essentiellement ceux de Total, qui assurent un peu plus de 4 % de la production pétrolière libyenne. "Des perspectives existent pour l'industrie française, notamment en matière d'équipements civils, dans les domaines de l'énergie, du tourisme, de l'aéronautique", indique-t-on à l'Elysée.

Le président de la République est accompagné de trois ministres - Michel Barnier (affaires étrangères), Gilles de Robien (équipement, transports, tourisme) et François Loos (ministre délégué au commerce extérieur) -, du président du Medef international, François Perigot, et d'une importante délégation de chefs d'entreprise (Total, Gaz de France, Dassault Aviation, ALMS, Thales, TAEMA, AWF, Société Lohr, Groupe Vinci, Pharma Plus, etc.).

Sur le plan politique, l'objectif de la France, qui n'est pas différent de celui de l'Union européenne, est de contribuer à intégrer Tripoli dans le dialogue euro-méditerranéen. Le principal cadre dans lequel est mise en œuvre cette coopération entre l'Europe et les pays du pourtour méditerranéen (Algérie, Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Territoires palestiniens, Syrie, Tunisie et Turquie), dit "processus de Barcelone", fêtera ses dix ans en 2005. La Libye n'a pendant longtemps pas été conviée à y prendre part, puis elle l'a dédaigné, en raison de la participation d'Israël.

Jacques Chirac plaidera pour que Tripoli s'y rallie, mais, note un diplomate, "c'est aux autorités libyennes qu'il appartient de décider de rejoindre ce forum, c'est-à-dire d'accepter de siéger dans une enceinte où siège Israël". La France est attentive, d'autre part, à l'influence que peut avoir le colonel Kadhafi dans certaines régions d'Afrique, où les conflits ne manquent pas.

Comme l'Union européenne dans ses rapports avec le chef de la Jamahiriya, Jacques Chirac demandera la grâce des médecins et infirmières bulgares détenus depuis 1999 et condamnés à mort en Libye, où ils ont été accusés d'avoir volontairement inoculé le virus du sida à plus de 400 enfants, dans un hôpital de Benghazi. "Le processus de réformes ne fait que commencer", fait cependant valoir un membre de l'entourage de Jacques Chirac, comme pour dire qu'il ne faut pas s'attendre à des miracles, en matière de droits de l'homme.

Il insiste sur le fait que Jacques Chirac ne sort pas des convenances occidentales : "Le jugement selon lequel la Libye a définitivement tourné la page est partagé par tous les Européens et par les Etats-Unis." D'autres ont de surcroît fait preuve de plus de hâte à renouer avec le colonel.

La dernière fois que le président français a vu Mouammar Kadhafi, mais sans lui parler, c'était à Tunis en décembre 2003, lors d'une réunion internationale au cours de laquelle le chef de l'Etat libyen était demeuré ostensiblement muet, le regard dans les nuages. "Les relations avec la Libye, c'est toujours très compliqué", avait, à l'époque, constaté Jacques Chirac.

Claire Tréan


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Le colonel Kadhafi critique la France

"Je n'ai pas encore compris la raison de la présence militaire de la France en Afrique. Qu'est-ce qu'elle veut y faire ?", s'interroge le dirigeant libyen dans Le Figaro du 24 novembre. Le chef de l'Etat libyen affirme aussi ne pas avoir "vu de rôle pour les forces françaises" au Tchad, qui a vécu "un conflit d'un quart de siècle", et critique leur présence à Abidjan, où la France agit sous mandat des Nations unies. "Voyez ce qui se passe en Côte d'Ivoire : je crains que cela n'ait une influence négative sur les relations afro-françaises. (...) Je crois que c'était une erreur d'intervenir en Côte d'Ivoire, maintenant la confiance a disparu", ajoute-t-il.

Le dirigeant libyen souhaite cependant que Paris et Tripoli unissent leurs efforts en Afrique. "Puisque la France a une sorte d'obligation de présence en Afrique et puisque la Libye est un pays majeur en Afrique (...), nos deux pays peuvent conjuguer leurs efforts pour aider l'Afrique. C'est ce que j'appelle de mes vœux, et c'est peut-être là-dessus que nous allons tomber d'accord avec le président Chirac", dit-il.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.11.04

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