Isabelle
Dath
Jacques Chirac part pour la Libye ce mercredi
; il y rencontrera le colonel Kadhafi pour parachever la normalisation
entre les deux pays. C'est un événement !
Forcément puisque aucun président
français n'a mis les pieds dans ce pays depuis son indépendance
en 1951. Les rapports entre les deux pays ont de tout temps été
chaotiques. N'oublions pas que ce sont les troupes françaises
qui ont chassé les Libyens du Tchad. Et puis les rapports
entre Jacques Chirac et Kadhafi n'ont jamais été
bons. La dernière fois qu'ils se sont vus, ils se sont
superbement ignorés. C'était il y a un peu moins
d'un an à Tunis, lors d'une rencontre euro-méditerranéenne,
ils n'ont même pas échangé un regard, deux
fantômes. Il faut dire que l'affaire du DC10 n'était
pas réglée.
Ce préalable dorénavant réglé,
Jacques Chirac est en route pour Tripoli, bon dernier après
Aznar, Blair, Berlusconi, Schröder, Prodi. Eh oui, c'est
l'endroit où il faut aller. Un retour en grâce invraisemblable
pour cet ancien paria planétaire, qui a compris que s'il
voulait échapper à la liste de l'axe du mal, il
devait passer aux aveux. Et c'est ce qu'il a fait : sa responsabilité
dans les attentats du Boeing de la Pan Am, du DC10 d'UTA, de la
discothèque La Belle à Berlin. Ensuite, il a racheté
ses crimes avec le cynisme qu'on lui connaît : "j'achète
la levée des sanctions" disait-il, sans avoir peur
d'offenser les familles. Sa renonciation complète aux arsenaux
nucléaires, biologiques, chimiques, a fait le reste. Après
avoir incarné le terrorisme international, la Libye est
redevenue fréquentable et fréquentée.
Mais ce n'est pas
sans arrière-pensée?
Vous ne croyez pas que ce soit désintéressé
tout de même ! D'abord il y a une forte odeur de pétrole.
La Libye détient 3% des réserves mondiales, veut
doubler sa production et moderniser ses installations, ce qui
fait 30 milliards de dollars d'investissements d'ici à
2010. Autant dire qu'il y a du contrat dans l'air avec ce pays
qui découvre la privatisation, et la concurrence se fera
au couteau.
Pas question de laisser le champ libre aux Américains,
quel que soit le domaine : aéronautique, téléphonie,
environnement, tourisme. Pour vous montrer l'ampleur des demandes
sur le tourisme par exemple, la Libye vise un million de visiteurs
en 2008. Savez vous combien il existe de chambres d'hôtels
aujourd'hui dans ce pays? 11.000.
Jacques Chirac part tout à l'heure à
la tête d'une délégation d'une vingtaine de
chefs d'entreprise et espère bien remettre la France dans
la course. Les sanctions ont retardé le développement
du pays, le régime est usé par l'embargo et Kadhafi
n'a pas perdu son instinct de survie. Il a donc clairement fixé
le cap. Démanteler l'économie administrée.
N'attendez en revanche, aucune ouverture politique,
l'opacité reste totale. Après 35 ans de pouvoir,
Kadhafi ne parle pas de sa succession. Il reste aux manettes.
Remarquez, ni les Américains ni les Européens ne
font du changement de régime leur objectif. Kadhafi est
rentré dans le rang. Pour eux c'est bien suffisant.
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