Jacques Chirac est arrivé hier à Tripoli
pour une visite de vingt-quatre heures en Libye destinée
à tourner la page de l'embargo et à accompagner
les efforts d'un pays qui entend retrouver toute sa place sur
la scène internationale. Depuis la levée des sanctions
internationales il y a quinze mois et celle, récente, de
l'embargo européen, la Libye est à nouveau très
courtisée pour sa manne pétrolière, notamment
par les Etats-Unis et l'Union européenne. Le président
de la République, qui s'est entretenu dès son arrivée
hier avec le colonel Muammar Kadhafi, quittera Tripoli à
la mi-journée pour se rendre au 10e sommet de la francophonie
à Ouagadougou, au Burkina-Faso.
Tripoli
: de notre envoyé spécial Luc de Barochez
[25 novembre 2004]
Bien qu'il entendît clore la période
où le terrorisme empoisonnait les relations franco-libyennes,
Jacques Chirac a dû s'y replonger symboliquement à
son arrivée hier à Tripoli. Le colonel Muammar Kadhafi,
vêtu d'un burnous, lui a fait visiter les ruines de son
quartier général bombardé par l'aéronavale
américaine en 1986, au plus fort de la tension entre la
Libye et l'Occident. C'était l'époque où
les militaires français et libyens se faisaient la guerre
au Tchad, en 1983, où des agents de Tripoli faisaient exploser
en vol un avion de ligne américain, en 1988, et où
ils récidivaient en détruisant un appareil français,
en 1989. Après avoir foulé le sol du palais encore
jonché de pièces de métal tordues et de gravats,
le président de la République a été
reçu par son hôte dans une grande tente bédouine
plantée sur une pelouse voisine, à côté
d'un troupeau de chameaux occupés à paître
placidement. La mise en scène était au rendez-vous
pour la première visite jamais effectuée par un
président de la République française à
Tripoli.
Malgré son attachement à un martyrologe
très particulier, la Libye est censée avoir tourné
aujourd'hui la page de la violence. Kadhafi a accueilli son hôte
comme un «ami». Jacques Chirac en a pris acte. Il
a déclaré qu'il était venu célébrer
le «renouveau» et les «retrouvailles»
franco-libyennes. Il a offert un «vrai partenariat»
à Kadhafi, l'ex-voyou international devenu, sinon un bon
élève, du moins quelqu'un de très fréquentable.
Forte de ses importantes ressources pétrolières,
la Libye a quitté le ban des nations pour réintégrer
la communauté internationale. «Le chemin parcouru
s'annonce prometteur. Nous devons maintenant le consolider et
avancer», a expliqué Chirac. Le contraste ne pouvait
pas être plus vif avec le sommet euroméditerranéen
de Tunis voici un an, où le président français
et le dirigeant libyen s'étaient soigneusement évités.
Le versement cette année par la Libye
de 170 millions de dollars d'indemnités aux victimes de
l'attentat de 1989 contre un DC 10 d'UTA a permis ce changement.
Jacques Chirac s'en est félicité, ainsi que de la
levée des sanctions internationales contre Tripoli et de
la renonciation par la Libye à ses programmes d'armes de
destruction massive. «La Libye a effectué (...) des
choix décisifs : le choix de la responsabilité,
le choix de la réconciliation et du règlement des
derniers contentieux qui faisaient obstacle à sa réintégration
dans le concert des nations», a-t-il dit.
Cela n'empêche pas la rivalité franco-libyenne
de se poursuivre sur le continent africain. Jacques Chirac s'est
abstenu hier de répondre directement aux remarques acerbes
du Guide.
Dans son entretien d'hier au Figaro, Kadhafi
critiquait l'intervention de l'armée française en
Afrique, notamment en Côte d'Ivoire. Le président
de la République, qui a prononcé un discours devant
les expatriés français à Tripoli, s'est contenté
de souligner que «Libyens et Français portent la
même attention soutenue au devenir du continent africain».
La question doit être au coeur du sommet de la francophonie
qui s'ouvre ce soir à Ouagadougou. A Paris, le porte-parole
du gouvernement Jean-François Copé a rappelé
que si la France était intervenue en Côte d'Ivoire,
c'était sur mandat de l'ONU et avec l'accord de l'Union
africaine, sans opposition de la Libye.
Depuis le début de l'année, les
dirigeants britannique, espagnol, italien et allemand ont précédé
Jacques Chirac en Libye. Le président entend aujourd'hui
rattraper le retard. Il a souhaité que les relations franco-libyennes
reviennent au plus vite à leur âge d'or des années
70. «Le moment est venu de redonner à la France les
moyens de tenir sa place et son rang en Libye», a-t-il dit.
Il a proposé à Kadhafi un dialogue régulier
portant sur les questions politiques et de sécurité.
Il a encouragé la Libye à poursuivre
la réforme de son économie et à l'intégrer
dans un même ensemble avec les autres pays du Maghreb. Il
a soutenu les ambitions des entreprises françaises qui
souhaitent décrocher des contrats dans les domaines de
l'énergie, des infrastructures, des télécoms,
des transports, de l'eau, de l'environnement et du tourisme.
Le président de la République
est d'ailleurs venu en Libye avec une vingtaine de chefs d'entreprise.
Entre Français et Libyens, l'heure est aux affaires. Hier,
Chirac et Kadhafi ont décidé, selon l'Élysée,
de «regarder l'avenir ensemble, avec confiance». |