[24 novembre
2004]
La Libye avance-t-elle vers la démocratie
? Oui, si l'on en croit Seif el-Islam, le fils aîné
de la seconde femme de Muammar Kadhafi, devenu une sorte de ministre
des Affaires étrangères bis. «Le peuple libyen
veut moderniser son économie, ils veulent réformer
leur système, ils veulent approfondir la démocratie
directe. Bientôt, en Libye, tout sera démocratique
de A à Z. C'est le souhait de mon père. C'est le
souhait du peuple», a récemment déclaré
Seif el-Islam à la BBC. La «nouvelle Libye»,
soucieuse de communication depuis son retour sur la scène
internationale, n'a pourtant pas l'intention de changer de système.
Muammar Kadhafi, qui emploie beaucoup en ce moment le mot «idéologie»,
entend perpétuer la Jamahiriyya, l'«État des
masses» qui pour lui représente l'aboutissement de
la démocratie, puisque c'est le peuple qui est censé
gouverner sous sa houlette bienveillante de guide sans autre titre
officiel.
A bien écouter «Seif», il
s'agit surtout d'améliorer ce système. Lors de son
passage à Paris au début de l'année, le jeune
homme, âgé de 32 ans avait bien précisé
au Figaro qu'il s'agissait de donner un deuxième souffle
à la Jamahiriyya, et surtout pas d'introduire le multipartisme
à l'occidentale, considéré en Libye comme
une régression.
Muammar Kadhafi lui-même a mis les points
sur les i, en octobre, lors d'une visioconférence avec
un parterre d'intellectuels africains réunis à Dakar.
«Il faut arrêter de parler de multipartisme, a lancé
le guide aux participants. Un seul parti, ça suffit !»
Le régime libyen s'est contenté
d'instituer les chaabiyat, des assemblées régionales
dont les membres sont élus, selon le pouvoir. En fait,
les chaabiyat sont désignées par les comités
populaires de base, un des piliers du système libyen. Souvent,
il est vrai, à la suite de débats passionnés.
Les réformes annoncées sont surtout
d'ordre social et économique.
En octobre, pour la première fois, Seif
el-Islam a exposé son plan de réforme de l'économie
socialiste libyenne. Le fils du guide reprenait à son compte,
pour la première fois, le discours du premier ministre
libéral Choukri Ghanem, nommé en 2003 pour tenter
de sortir la Libye d'un socialisme à bout de souffle. Plus
de trois cent cinquante sociétés d'État doivent
être privatisées, à condition de trouver des
acquéreurs. Quant à l'entreprise privée,
elle reste encore un espoir pour les aspirants petits patrons,
toujours obligés de tracer leur chemin à travers
les intermédiaires et les recommandations personnelles.
L'implication personnelle de Seif el-Islam, héritier
en pointillé, montre que Muammar Kadhafi est au moins disposé
à ne pas entraver les efforts de son premier ministre.
Ce dernier a annoncé le mois dernier la prochaine suppression
des subventions aux produits de base, essence, électricité,
farine, ou huile, pour une valeur de 5 milliards de dollars. L'essence,
quasiment gratuite à 0, 06 € le litre, ne devrait
cependant que doubler. En échange, le salaire mensuel minimal,
actuellement de 91 €, devrait lui aussi être multiplié
par deux. Choukri Ghanem espère que les quelque 5 millions
de Libyens gagneront dans le futur «autant que les citoyens
des autres pays producteurs de pétrole». Un comité
d'application doit s'assurer que cet avenir deviendra réalité.
«Tout le monde doit participer au développement»,
a déclaré Choukri Ghanem au Financial Times. La
réussite ou l'échec du premier ministre fourniront
le test de la réelle volonté du guide de voir se
réaliser le «capitalisme populaire» que Choukri
Ghanem appelle de ses voeux. Mais «l'État des masses»,
sous-tendu par un subtil équilibre tribal, semble avoir
encore de beaux jours devant lui.
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