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(Tripoli, mercredi 25 novembre 2004)

Conférence de Presse du Président de la République Française à l'issue de sa visite officielle en Libye

Mesdames et Messieurs,

A l'issue de cette visite officielle en Libye, je tiens naturellement pour commencer à remercier le colonel Qaddafi, l'ensemble des autorités libyennes qui nous ont réservé un accueil à la fois chaleureux, ouvert et sympathique, auquel j'ai été sensible.

Par cette visite qui est la première d'un président de la République française dans ce pays, j'ai voulu manifester que la France reconnaissait les changements fondamentaux qui ont été opérés en Libye depuis maintenant deux ans. En faisant les gestes nécessaires pour tourner la page d'un passé qui évoque, ou qui a évoqué, des souvenirs douloureux dans un certain nombre de pays et notamment le nôtre, la Libye a fait, je crois, le choix de la responsabilité, de la réconciliation, le choix de la main tendue. Elle a ouvert la voie à sa pleine réintégration dans la communauté internationale. Sur le plan interne, elle a aussi fait le choix de l'ouverture par les réformes économiques, politiques, sociales qu'elle a mises en œuvre. La France a tenu à saluer ces orientations et, cela va de soi, à les encourager.

Toutes les conditions sont désormais réunies pour ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre la Libye et la France. Cette relance des relations, qui a été souhaitée par nos deux parties, a naturellement été au centre des discussions que j'ai eues avec le colonel Qaddafi, que les ministres ont eues avec leurs homologues, et nous sommes convenus de structurer cette nouvelle politique autour de trois points : d'abord la mise en œuvre d'une dialogue politique sur des sujets d'intérêt commun, je pense notamment au Maghreb, à la Méditerranée, à l'Afrique bien entendu.

D'autre part, par le développement d'un partenariat économique qui passe par le renforcement de la présence des entreprises françaises pour accompagner les réformes et la modernisation qu'a engagées la Libye, dans un certain nombre de secteurs, notamment des secteurs stratégiques pour son développement, comme l'énergie, l'aéronautique, mais aussi un certain nombre d'autres secteurs. Et nous avons conclu à cet égard des accords qui témoignent de notre volonté.

Enfin, le renforcement d'une coopération conforme aux priorités de la Libye, je pense à des secteurs comme le tourisme, domaine dans lequel nous avons également signé une convention de développement. Je pense aussi à la protection et à la valorisation du patrimoine archéologique de la Libye, et je suis heureux, d'une part, de saluer l'œuvre admirable menée depuis trente ans ici par le professeur Laronde, et tout ce que cela apporte en témoignage de cette richesse archéologique exceptionnelle qui est celle de la Libye, archéologique et historique. D'autre part, je suis heureux de la signature d'un accord entre l'Université de Poitiers, représentée ici par le professeur Brunet, l'inventeur de Toumaï, et l'Université de Tripoli, pour permettre notamment le développement de recherches paléontologiques en Libye, dans le prolongement de ce que le professeur Brunet a fait, déjà, au Tchad.

La relance des relations franco-libyennes s'inscrit dans le cadre plus large d'un rapprochement entre la Libye et l'Union européenne, un rapprochement que nous appelons de nos vœux. Un certain nombre d'étapes ont été franchies déjà. Il faut maintenant aller plus loin. J'ai dit au colonel Qaddafi que la Libye avait, à nos yeux, une vocation naturelle à intégrer l'espace euro-méditerranéen, et que nous espérions qu'elle confirmerait bientôt sa candidature au processus de Barcelone dont nous allons célébrer en 2005, comme vous le savez, le dixième anniversaire.

Nous avons enfin abordé toute une série de questions régionales et internationales qui intéressent nos deux pays, et dans lesquelles la Libye joue un rôle au titre de sa triple vocation : maghrébine, méditerranéenne et africaine. La Libye a vocation naturelle à être un élément de paix et de stabilité dans l'ensemble de cette région.

Nous avons aussi évoqué la question de l'intégration maghrébine et les perspectives de coopération entre l'Union européenne et l'Union du Maghreb arabe, actuellement présidée par la Libye. Nous avons également évoqué le prolongement du dialogue 5+5, qui s'est tenu hier à Oran au niveau des ministres des Affaires étrangères et qui se poursuit. S'agissant de l'Afrique, nous partageons des objectifs convergents, c'est-à-dire la stabilité, la sécurité et le développement. Les crises du Darfour et de Côte d'Ivoire nous rappellent tragiquement que la sécurité reste toujours en cause et c'est une priorité absolue. Je remercie le colonel Qaddafi pour ses efforts constructifs dans ces deux crises. La France et la Libye peuvent également travailler ensemble au développement du continent africain en général, notamment en matière de liaisons, de transport, etc.

Enfin, au lendemain de la disparition du président Yasser Arafat et de la conférence de Charm-el-Cheikh, la crise irakienne a bien évidemment été évoquée entre nous. Un processus électoral est lancé en Palestine, vous le savez. Nous le soutenons sans réserve, ainsi d'ailleurs que l'ensemble de la communauté internationale. En ce qui concerne l'Irak, j'ai rappelé que nous apportons notre soutien aux élections prévues pour fin janvier 2005 et que nous restons attachés à la mise en œuvre de la résolution 1546 dans toutes ses dimensions et dans tous ses volets. Enfin, nous avons signé tout à l'heure cinq accords : l'un sur le tourisme, j'en ai parlé, un autre avec EADS sur l'aéronautique, un autre avec Thalès, un autre avec Vinci, c'est la Grande Rivière, un autre enfin avec les universités, c'est ce que j'évoquais il y a un instant.

Q - Sur le Proche-Orient, vous avez évoqué la question palestinienne, est-ce que la France a une politique précise pour soutenir les élections palestiniennes ? Est-ce que vous avez demandé aux Israéliens d'aider les Palestiniens pour pouvoir organiser les élections ? Pour les accords avec les Libyens, vous avez évoqué la Côte d'Ivoire et le Darfour : avez-vous demandé au Guide libyen, Muammar Qaddafi de calmer le jeu ?

R - Tout d'abord, s'agissant des élections au Moyen-Orient, des élections en Palestine, elles sont constitutionnelles, elles doivent se dérouler démocratiquement. Ce qui implique que chacun puisse s'exprimer librement. La France, comme l'Union européenne, fera tout pour faciliter ces élections, notamment sur le plan matériel. L'Union européenne apportera sa contribution pour l'organisation matérielle, technique et financière des ces élections. Alors, j'observe que la position prise par les Etats-Unis est identique, ce dont je me réjouis et cela marque me semble-t-il un certain réengagement américain dans l'évolution du problème israélo-palestinien. Je souhaite donc qu'elles puissent avoir lieu aux dates prévues et qu'elles puissent dégager une majorité capable de bien représenter le peuple palestinien, et d'assumer les responsabilités de l'Autorité palestinienne.

Sur les crises du Darfour et de Côte d'Ivoire, je n'ai pas eu besoin d'insister pour que le président Qaddafi intervienne de façon à modérer toutes les ardeurs, car c'est exactement ce qu'il a fait ; nous avons la même analyse des crises africaines en général, et de celle-là en particulier.

Q - Monsieur le Président, je voudrais tout d'abord entendre votre appréciation des relations franco-libyennes, à l'avenir, et également sur la coopération qui existera entre l'Europe et la Libye, au Maghreb et en Afrique ?

R - la France attache beaucoup de prix, maintenant que son développement est rendu possible par les choix faits par la Libye, à sa coopération politique, culturelle et économique avec la Libye. Et plus rien maintenant n'empêchant ce développement, c'est donc l'orientation générale que nous avons retenue ce matin. Sur la relation Union européenne - Libye, il est certain que la Libye est un pays important du Maghreb, et il est certain que la Libye a une place naturelle et importante dans la politique euro-méditerranéenne.

Actuellement, elle ne fait pas partie du processus de Barcelone, pour des raisons que je peux comprendre, qui sont celles des autorités libyennes. J'ai néanmoins plaidé auprès du président Qaddafi pour qu'il réexamine cette situation, car je pense que la place de la Libye se trouve dans le processus de Barcelone et que c'est un peu dommage qu'elle n'y ait pas adhéré. J'ajoute néanmoins que dans le cadre du processus 5+5, les relations, vous le savez, entre les dix pays, dont la Libye, sont tout à fait excellentes.

Q - Dans l'état actuel des choses en Côte d'Ivoire, ne pensez-vous pas que les soldats français sont contraints de rester par crainte d'un grand risque de massacre ethnique, comme on l'a vu ailleurs ? Deuxième question : quelles démarches concrètes attendez-vous du président Bush pour résoudre le problème du Proche-Orient ?

R - La France est, en Côte d'Ivoire, à la demande expresse de la CEDEAO, de l'Union africaine, avec la caution et la demande unanime de l'ONU. Et elle est là sous mandat de l'ONU. Par conséquent, son ambition est évidemment et effectivement d'éviter que des drames se produisent, toujours possibles à partir du moment où, hélas, le pays s'est coupé en deux. Voilà un pays qui, du temps du président Houphouët-Boigny était à la fois stable et riche, pour un pays africain, avec des ressources importantes. Malheureusement, la dégradation de la situation fait que c'est un pays divisé et qui s'affronte. Donc la France n'a pas d'autre ambition que celle du maintien de la paix et, je le répète, sous le contrôle et les ordres de l'ONUCI.

Pour votre deuxième question, j'ai observé avec satisfaction l'engagement pris par les Américains de soutenir clairement la tenue des élections libres et donc possibles, en faisant tout ce qui était nécessaire pour les rendre possibles et loyales en Palestine. J'y vois, je le répète, un signe positif.

Q - Monsieur le Président, avez-vous eu des assurances du colonel Qaddafi que "la part du lion" ne serait pas donnée aux Américains, notamment dans le secteur pétrolier, au détriment des compagnies françaises. Deuxième question, si vous me le permettez, sur Ouagadougou. Le president libanais va être absent, à cause du fait que la France a parrainé la résolution 1559 sur le Liban et la Syrie. Comment voyez-vous l'avenir avec les dirigeants libanais et syriens après avoir parrainé cette résolution ?

R - Tout d'abord, la Libye a l'ambition d'augmenter sensiblement sa production pétrolière. Elle en a la possibilité et elle prévoit cette augmentation dans des conditions, à mon avis, raisonnables. Bien entendu, la France sera candidate à s'associer à cet effort. Je ne doute pas que la Libye prendra les décisions les plus conformes à ses intérêts, ce qui est naturellement normal. Je lui fais, à cet égard, toute confiance.

S'agissant du Liban, je voudrais rappeler que la France a toujours appelé au respect de l'intégrité territoriale, de la souveraineté et de l'indépendance du Liban. L'élection présidentielle libanaise, à laquelle vous faites allusion, aurait pu être l'occasion de montrer que le Liban avait pleinement retrouvé sa tradition démocratique. Malheureusement, cela n'a pas été le cas. Et c'est dans ces conditions que nous avons décidé, avec nos partenaires du Conseil de sécurité, d'adresser un message solennel à ce sujet en adoptant la résolution 1559.

Cette résolution, complétée par la déclaration présidentielle adoptée le 19 octobre dernier à l'unanimité, démontre que la préoccupation de la France est totalement partagée par la communauté internationale. Je le répète, nous ne visons dans cette affaire qu'un seul objectif qui est l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité du Liban.

Q - Monsieur le Président, la Libye a pris, comme vous le savez, en décembre 2003, la décision d'abandonner les programmes d'armes de destruction massives (ADM), mais les citoyens libyens n'ont pas senti un grand changement, à part les satisfactions des capitales occidentales. Mais on vient d'entendre que la France va aider dans le nucléaire pacifique. Comment peut-on lire cela ?

Une deuxième question : est-ce que la France et la Libye peuvent, ensemble, conjuguer leurs efforts pour aider la France, et comment ?

R - Sur le deuxième point, la France connaît bien l'Afrique. Elle a des intérêts en Afrique. Elle a beaucoup d'amis en Afrique, et la Libye aussi. Donc, il est tout a fait légitime que nous nous concertions. Et nous faisons toute confiance à la Libye pour s'associer à une politique dont le seul objectif est la paix et l'unité.

En ce qui concerne les armes de destruction massive, nous avons rendu hommage aux décisions qui ont été prises par la Libye de renoncer aux armes de destruction massive. Ce sont d'ailleurs des armes qui coûtent très chers, qui coûtent très chers au peuple. Et finalement, on peut s'interroger sur leur utilité, pour les lancer sur qui ? Donc, nous avons approuvé cette position de la Libye, bien entendu.

Vous évoquez le nucléaire civil, ce qui peut être, naturellement, une ambition de la Libye, qui n'est pas d'actualité aujourd'hui. Il n'y a pas de démarche de cette nature. La France, vous le savez, comme les autres pays nucléaires, est soumise à des contraintes qui sont celles de l'Agence internationale de l'Energie atomique (AIEA) et qui indiquent dans quelles conditions on peut faire les transferts technologiques nécessaires au développement du nucléaire civil. Mais le problème n'est pas d'actualité.

Q - Monsieur le Président, je voudrais revenir sur l'accueil original qui vous a été réservé hier, et avoir un petit peu votre sentiment : savoir ce que vous aviez ressenti sur les gravats de ce bâtiment bombardé en 1986 et savoir, en particulier, si vous n'aviez pas ressenti un paradoxe d'être dans cette maison bombardée en 86, guidé par quelqu'un qui, aujourd'hui, montre qu'il veut ouvrir son pays, son économie, etc.

R - Je n'ai pas trouvé cela paradoxal dans la mesure où c'est une tradition et où tous les autres officiels sont conduits à cet endroit. Par conséquent, j'ai fait comme tout le monde.

Q - Comment concevez-vous les événements dangereux en Irak et surtout que vous pensez contrairement aux Américains que le monde est moins en sécurité après la guerre ?

R - Je ne fais pas de lien entre la situation en Irak, qui est celle que nous savons, et qui, je l'espère, va déboucher, au travers des élections, sur une stabilisation politique qui rende l'espoir et la capacité d'agir au peuple irakien. Donc, je ne fais pas de lien entre cette situation aujourd'hui et la sûreté du monde. Je constate, en revanche, que le monde, hélas -s'agissant du développement du terrorisme-, n'est pas un monde sûr. Je le déplore, bien entendu.

Q - Monsieur le Président, vous avez remis hier au guide de la révolution libyenne, Muammar Qaddafi, une édition du philosophe Montesquieu qui, comme vous le savez et comme nous le savons, est un fervent défenseur des lois et surtout de la démocratie. Est-ce que vous avez parlé de démocratie, du multipartisme avec Qaddafi ?

Deuxième question : avant votre venue à Tripoli, le chef de la révolution libyenne a donné une interview à notre collègue, Le Figaro, où il dit qu'il considère le partenariat euro-méditerranéen comme une reconquête pacifique de certains pays européens dans certains pays arabes de la Méditerranée. Que répondez-vous ?

R - J'ai donné ces livres au président Qaddafi, parce qu'il est un amateur personnel de Montesquieu, et je le savais depuis longtemps. Et ayant trouvé cette édition de Montesquieu, sachant l'intérêt que portait le président Qaddafi à cet auteur, j'ai sauté sur l'occasion pour le lui apporter en cadeau. Il a lu tout Montesquieu. C'était une jolie édition et, par conséquent, il peut la mettre dans sa bibliothèque.

Pour ce qui concerne ce qu'il a dit sur le processus de Barcelone, je l'ai dit tout à l'heure, nous avons une vision un peu différente des choses. Au fond, le président Qaddafi souhaiterait un processus de Barcelone strictement Nord-Sud, c'est-à-dire comportant des pays africains et des pays européens autour de la Méditerranée. Le processus de Barcelone tel que nous l'avons créé, il y a dix ans, neuf ans, englobe le Proche-Orient. Alors là, on peut évidemment s'interroger et nous nous sommes interrogés. Je ne prétends pas imposer mon point de vue. D'ailleurs, je dois dire que le président libyen s'interroge également. Eh bien, nous continuerons à en discuter.

Q - Monsieur le Président, j'aimerais connaître votre sentiment sur ce qu'il se passe en ce moment en Polynésie française ?

R - Il y a une situation, dont vous connaissez l'origine, qui est, je l'espère, en train de se résoudre dans le cadre d'un accord qui, je l'espère, pourra être trouvé sous les auspices du ministre de l'Outre-mer français pour retrouver la paix et le développement dans ce pays qui est l'un des plus prestigieux, l'un des plus avancés et développés du Pacifique sud, et qui mérite autre chose que des querelles de cette nature. Je souhaite que cet accord puisse intervenir. C'est le sentiment que j'ai retiré de mes derniers entretiens, juste avant de partir, avec le président Gaston Flosse.

Je vous remercie./.

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