Mesdames et
Messieurs,
A l'issue de cette visite officielle en Libye,
je tiens naturellement pour commencer à remercier le colonel
Qaddafi, l'ensemble des autorités libyennes qui nous ont
réservé un accueil à la fois chaleureux,
ouvert et sympathique, auquel j'ai été sensible.
Par cette visite qui est la première d'un
président de la République française dans
ce pays, j'ai voulu manifester que la France reconnaissait les
changements fondamentaux qui ont été opérés
en Libye depuis maintenant deux ans. En faisant les gestes nécessaires
pour tourner la page d'un passé qui évoque, ou qui
a évoqué, des souvenirs douloureux dans un certain
nombre de pays et notamment le nôtre, la Libye a fait, je
crois, le choix de la responsabilité, de la réconciliation,
le choix de la main tendue. Elle a ouvert la voie à sa
pleine réintégration dans la communauté internationale.
Sur le plan interne, elle a aussi fait le choix de l'ouverture
par les réformes économiques, politiques, sociales
qu'elle a mises en œuvre. La France a tenu à saluer
ces orientations et, cela va de soi, à les encourager.
Toutes les conditions sont désormais réunies
pour ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre la Libye
et la France. Cette relance des relations, qui a été
souhaitée par nos deux parties, a naturellement été
au centre des discussions que j'ai eues avec le colonel Qaddafi,
que les ministres ont eues avec leurs homologues, et nous sommes
convenus de structurer cette nouvelle politique autour de trois
points : d'abord la mise en œuvre d'une dialogue politique
sur des sujets d'intérêt commun, je pense notamment
au Maghreb, à la Méditerranée, à l'Afrique
bien entendu.
D'autre part, par le développement d'un
partenariat économique qui passe par le renforcement de
la présence des entreprises françaises pour accompagner
les réformes et la modernisation qu'a engagées la
Libye, dans un certain nombre de secteurs, notamment des secteurs
stratégiques pour son développement, comme l'énergie,
l'aéronautique, mais aussi un certain nombre d'autres secteurs.
Et nous avons conclu à cet égard des accords qui
témoignent de notre volonté.
Enfin, le renforcement d'une coopération
conforme aux priorités de la Libye, je pense à des
secteurs comme le tourisme, domaine dans lequel nous avons également
signé une convention de développement. Je pense
aussi à la protection et à la valorisation du patrimoine
archéologique de la Libye, et je suis heureux, d'une part,
de saluer l'œuvre admirable menée depuis trente ans
ici par le professeur Laronde, et tout ce que cela apporte en
témoignage de cette richesse archéologique exceptionnelle
qui est celle de la Libye, archéologique et historique.
D'autre part, je suis heureux de la signature d'un accord entre
l'Université de Poitiers, représentée ici
par le professeur Brunet, l'inventeur de Toumaï, et l'Université
de Tripoli, pour permettre notamment le développement de
recherches paléontologiques en Libye, dans le prolongement
de ce que le professeur Brunet a fait, déjà, au
Tchad.
La relance des relations franco-libyennes s'inscrit
dans le cadre plus large d'un rapprochement entre la Libye et
l'Union européenne, un rapprochement que nous appelons
de nos vœux. Un certain nombre d'étapes ont été
franchies déjà. Il faut maintenant aller plus loin.
J'ai dit au colonel Qaddafi que la Libye avait, à nos yeux,
une vocation naturelle à intégrer l'espace euro-méditerranéen,
et que nous espérions qu'elle confirmerait bientôt
sa candidature au processus de Barcelone dont nous allons célébrer
en 2005, comme vous le savez, le dixième anniversaire.
Nous avons enfin abordé toute une série
de questions régionales et internationales qui intéressent
nos deux pays, et dans lesquelles la Libye joue un rôle
au titre de sa triple vocation : maghrébine, méditerranéenne
et africaine. La Libye a vocation naturelle à être
un élément de paix et de stabilité dans l'ensemble
de cette région.
Nous avons aussi évoqué la question
de l'intégration maghrébine et les perspectives
de coopération entre l'Union européenne et l'Union
du Maghreb arabe, actuellement présidée par la Libye.
Nous avons également évoqué le prolongement
du dialogue 5+5, qui s'est tenu hier à Oran au niveau des
ministres des Affaires étrangères et qui se poursuit.
S'agissant de l'Afrique, nous partageons des objectifs convergents,
c'est-à-dire la stabilité, la sécurité
et le développement. Les crises du Darfour et de Côte
d'Ivoire nous rappellent tragiquement que la sécurité
reste toujours en cause et c'est une priorité absolue.
Je remercie le colonel Qaddafi pour ses efforts constructifs dans
ces deux crises. La France et la Libye peuvent également
travailler ensemble au développement du continent africain
en général, notamment en matière de liaisons,
de transport, etc.
Enfin, au lendemain de la disparition du président
Yasser Arafat et de la conférence de Charm-el-Cheikh, la
crise irakienne a bien évidemment été évoquée
entre nous. Un processus électoral est lancé en
Palestine, vous le savez. Nous le soutenons sans réserve,
ainsi d'ailleurs que l'ensemble de la communauté internationale.
En ce qui concerne l'Irak, j'ai rappelé que nous apportons
notre soutien aux élections prévues pour fin janvier
2005 et que nous restons attachés à la mise en œuvre
de la résolution 1546 dans toutes ses dimensions et dans
tous ses volets. Enfin, nous avons signé tout à
l'heure cinq accords : l'un sur le tourisme, j'en ai parlé,
un autre avec EADS sur l'aéronautique, un autre avec Thalès,
un autre avec Vinci, c'est la Grande Rivière, un autre
enfin avec les universités, c'est ce que j'évoquais
il y a un instant.
Q - Sur le Proche-Orient,
vous avez évoqué la question palestinienne, est-ce
que la France a une politique précise pour soutenir les
élections palestiniennes ? Est-ce que vous avez demandé
aux Israéliens d'aider les Palestiniens pour pouvoir organiser
les élections ? Pour les accords avec les Libyens, vous
avez évoqué la Côte d'Ivoire et le Darfour
: avez-vous demandé au Guide libyen, Muammar Qaddafi de
calmer le jeu ?
R - Tout d'abord, s'agissant des élections
au Moyen-Orient, des élections en Palestine, elles sont
constitutionnelles, elles doivent se dérouler démocratiquement.
Ce qui implique que chacun puisse s'exprimer librement. La France,
comme l'Union européenne, fera tout pour faciliter ces
élections, notamment sur le plan matériel. L'Union
européenne apportera sa contribution pour l'organisation
matérielle, technique et financière des ces élections.
Alors, j'observe que la position prise par les Etats-Unis est
identique, ce dont je me réjouis et cela marque me semble-t-il
un certain réengagement américain dans l'évolution
du problème israélo-palestinien. Je souhaite donc
qu'elles puissent avoir lieu aux dates prévues et qu'elles
puissent dégager une majorité capable de bien représenter
le peuple palestinien, et d'assumer les responsabilités
de l'Autorité palestinienne.
Sur les crises du Darfour et de Côte d'Ivoire,
je n'ai pas eu besoin d'insister pour que le président
Qaddafi intervienne de façon à modérer toutes
les ardeurs, car c'est exactement ce qu'il a fait ; nous avons
la même analyse des crises africaines en général,
et de celle-là en particulier.
Q - Monsieur
le Président, je voudrais tout d'abord entendre votre appréciation
des relations franco-libyennes, à l'avenir, et également
sur la coopération qui existera entre l'Europe et la Libye,
au Maghreb et en Afrique ?
R - la France attache beaucoup de prix, maintenant
que son développement est rendu possible par les choix
faits par la Libye, à sa coopération politique,
culturelle et économique avec la Libye. Et plus rien maintenant
n'empêchant ce développement, c'est donc l'orientation
générale que nous avons retenue ce matin. Sur la
relation Union européenne - Libye, il est certain que la
Libye est un pays important du Maghreb, et il est certain que
la Libye a une place naturelle et importante dans la politique
euro-méditerranéenne.
Actuellement, elle ne fait pas partie du processus
de Barcelone, pour des raisons que je peux comprendre, qui sont
celles des autorités libyennes. J'ai néanmoins plaidé
auprès du président Qaddafi pour qu'il réexamine
cette situation, car je pense que la place de la Libye se trouve
dans le processus de Barcelone et que c'est un peu dommage qu'elle
n'y ait pas adhéré. J'ajoute néanmoins que
dans le cadre du processus 5+5, les relations, vous le savez,
entre les dix pays, dont la Libye, sont tout à fait excellentes.
Q - Dans l'état
actuel des choses en Côte d'Ivoire, ne pensez-vous pas que
les soldats français sont contraints de rester par crainte
d'un grand risque de massacre ethnique, comme on l'a vu ailleurs
? Deuxième question : quelles démarches concrètes
attendez-vous du président Bush pour résoudre le
problème du Proche-Orient ?
R - La France est, en Côte d'Ivoire, à
la demande expresse de la CEDEAO, de l'Union africaine, avec la
caution et la demande unanime de l'ONU. Et elle est là
sous mandat de l'ONU. Par conséquent, son ambition est
évidemment et effectivement d'éviter que des drames
se produisent, toujours possibles à partir du moment où,
hélas, le pays s'est coupé en deux. Voilà
un pays qui, du temps du président Houphouët-Boigny
était à la fois stable et riche, pour un pays africain,
avec des ressources importantes. Malheureusement, la dégradation
de la situation fait que c'est un pays divisé et qui s'affronte.
Donc la France n'a pas d'autre ambition que celle du maintien
de la paix et, je le répète, sous le contrôle
et les ordres de l'ONUCI.
Pour votre deuxième question, j'ai observé
avec satisfaction l'engagement pris par les Américains
de soutenir clairement la tenue des élections libres et
donc possibles, en faisant tout ce qui était nécessaire
pour les rendre possibles et loyales en Palestine. J'y vois, je
le répète, un signe positif.
Q - Monsieur
le Président, avez-vous eu des assurances du colonel Qaddafi
que "la part du lion" ne serait pas donnée aux
Américains, notamment dans le secteur pétrolier,
au détriment des compagnies françaises. Deuxième
question, si vous me le permettez, sur Ouagadougou. Le president
libanais va être absent, à cause du fait que la France
a parrainé la résolution 1559 sur le Liban et la
Syrie. Comment voyez-vous l'avenir avec les dirigeants libanais
et syriens après avoir parrainé cette résolution
?
R - Tout d'abord, la Libye a l'ambition d'augmenter
sensiblement sa production pétrolière. Elle en a
la possibilité et elle prévoit cette augmentation
dans des conditions, à mon avis, raisonnables. Bien entendu,
la France sera candidate à s'associer à cet effort.
Je ne doute pas que la Libye prendra les décisions les
plus conformes à ses intérêts, ce qui est
naturellement normal. Je lui fais, à cet égard,
toute confiance.
S'agissant du Liban, je voudrais rappeler que
la France a toujours appelé au respect de l'intégrité
territoriale, de la souveraineté et de l'indépendance
du Liban. L'élection présidentielle libanaise, à
laquelle vous faites allusion, aurait pu être l'occasion
de montrer que le Liban avait pleinement retrouvé sa tradition
démocratique. Malheureusement, cela n'a pas été
le cas. Et c'est dans ces conditions que nous avons décidé,
avec nos partenaires du Conseil de sécurité, d'adresser
un message solennel à ce sujet en adoptant la résolution
1559.
Cette résolution, complétée
par la déclaration présidentielle adoptée
le 19 octobre dernier à l'unanimité, démontre
que la préoccupation de la France est totalement partagée
par la communauté internationale. Je le répète,
nous ne visons dans cette affaire qu'un seul objectif qui est
l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité
du Liban.
Q - Monsieur
le Président, la Libye a pris, comme vous le savez, en
décembre 2003, la décision d'abandonner les programmes
d'armes de destruction massives (ADM), mais les citoyens libyens
n'ont pas senti un grand changement, à part les satisfactions
des capitales occidentales. Mais on vient d'entendre que la France
va aider dans le nucléaire pacifique. Comment peut-on lire
cela ?
Une deuxième
question : est-ce que la France et la Libye peuvent, ensemble,
conjuguer leurs efforts pour aider la France, et comment ?
R - Sur le deuxième point, la France connaît
bien l'Afrique. Elle a des intérêts en Afrique. Elle
a beaucoup d'amis en Afrique, et la Libye aussi. Donc, il est
tout a fait légitime que nous nous concertions. Et nous
faisons toute confiance à la Libye pour s'associer à
une politique dont le seul objectif est la paix et l'unité.
En ce qui concerne les armes de destruction massive,
nous avons rendu hommage aux décisions qui ont été
prises par la Libye de renoncer aux armes de destruction massive.
Ce sont d'ailleurs des armes qui coûtent très chers,
qui coûtent très chers au peuple. Et finalement,
on peut s'interroger sur leur utilité, pour les lancer
sur qui ? Donc, nous avons approuvé cette position de la
Libye, bien entendu.
Vous évoquez le nucléaire civil,
ce qui peut être, naturellement, une ambition de la Libye,
qui n'est pas d'actualité aujourd'hui. Il n'y a pas de
démarche de cette nature. La France, vous le savez, comme
les autres pays nucléaires, est soumise à des contraintes
qui sont celles de l'Agence internationale de l'Energie atomique
(AIEA) et qui indiquent dans quelles conditions on peut faire
les transferts technologiques nécessaires au développement
du nucléaire civil. Mais le problème n'est pas d'actualité.
Q - Monsieur
le Président, je voudrais revenir sur l'accueil original
qui vous a été réservé hier, et avoir
un petit peu votre sentiment : savoir ce que vous aviez ressenti
sur les gravats de ce bâtiment bombardé en 1986 et
savoir, en particulier, si vous n'aviez pas ressenti un paradoxe
d'être dans cette maison bombardée en 86, guidé
par quelqu'un qui, aujourd'hui, montre qu'il veut ouvrir son pays,
son économie, etc.
R - Je n'ai pas trouvé cela paradoxal
dans la mesure où c'est une tradition et où tous
les autres officiels sont conduits à cet endroit. Par conséquent,
j'ai fait comme tout le monde.
Q - Comment concevez-vous
les événements dangereux en Irak et surtout que
vous pensez contrairement aux Américains que le monde est
moins en sécurité après la guerre ?
R - Je ne fais pas de lien entre la situation
en Irak, qui est celle que nous savons, et qui, je l'espère,
va déboucher, au travers des élections, sur une
stabilisation politique qui rende l'espoir et la capacité
d'agir au peuple irakien. Donc, je ne fais pas de lien entre cette
situation aujourd'hui et la sûreté du monde. Je constate,
en revanche, que le monde, hélas -s'agissant du développement
du terrorisme-, n'est pas un monde sûr. Je le déplore,
bien entendu.
Q - Monsieur
le Président, vous avez remis hier au guide de la révolution
libyenne, Muammar Qaddafi, une édition du philosophe Montesquieu
qui, comme vous le savez et comme nous le savons, est un fervent
défenseur des lois et surtout de la démocratie.
Est-ce que vous avez parlé de démocratie, du multipartisme
avec Qaddafi ?
Deuxième
question : avant votre venue à Tripoli, le chef de la révolution
libyenne a donné une interview à notre collègue,
Le Figaro, où il dit qu'il considère le partenariat
euro-méditerranéen comme une reconquête pacifique
de certains pays européens dans certains pays arabes de
la Méditerranée. Que répondez-vous ?
R - J'ai donné ces livres au président
Qaddafi, parce qu'il est un amateur personnel de Montesquieu,
et je le savais depuis longtemps. Et ayant trouvé cette
édition de Montesquieu, sachant l'intérêt
que portait le président Qaddafi à cet auteur, j'ai
sauté sur l'occasion pour le lui apporter en cadeau. Il
a lu tout Montesquieu. C'était une jolie édition
et, par conséquent, il peut la mettre dans sa bibliothèque.
Pour ce qui concerne ce qu'il a dit sur le processus
de Barcelone, je l'ai dit tout à l'heure, nous avons une
vision un peu différente des choses. Au fond, le président
Qaddafi souhaiterait un processus de Barcelone strictement Nord-Sud,
c'est-à-dire comportant des pays africains et des pays
européens autour de la Méditerranée. Le processus
de Barcelone tel que nous l'avons créé, il y a dix
ans, neuf ans, englobe le Proche-Orient. Alors là, on peut
évidemment s'interroger et nous nous sommes interrogés.
Je ne prétends pas imposer mon point de vue. D'ailleurs,
je dois dire que le président libyen s'interroge également.
Eh bien, nous continuerons à en discuter.
Q - Monsieur
le Président, j'aimerais connaître votre sentiment
sur ce qu'il se passe en ce moment en Polynésie française
?
R - Il y a une situation, dont vous connaissez
l'origine, qui est, je l'espère, en train de se résoudre
dans le cadre d'un accord qui, je l'espère, pourra être
trouvé sous les auspices du ministre de l'Outre-mer français
pour retrouver la paix et le développement dans ce pays
qui est l'un des plus prestigieux, l'un des plus avancés
et développés du Pacifique sud, et qui mérite
autre chose que des querelles de cette nature. Je souhaite que
cet accord puisse intervenir. C'est le sentiment que j'ai retiré
de mes derniers entretiens, juste avant de partir, avec le président
Gaston Flosse.
Je vous remercie./.
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