victimes attentat

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(Lundi 29 novembre 2004)

Chirac en voyage d’affaires

Kaddafi voulait parler politique et son hôte français de parts de marché. Finalement, les deux hommes ne se sont pas si mal entendus.

Les 24 et 25 novembre, lors de sa visite à Tripoli - la première d'un chef d'État français -, Jacques Chirac n'a pas eu droit à un accueil populaire soigneusement organisé. Populaire, il l'est pourtant auprès des Libyens, très sensibles à ses positions hostiles à la guerre en Irak et à son soutien aux Palestiniens. Les soins prodigués à Yasser Arafat dans un hôpital de la région parisienne et les honneurs rendus au raïs après sa mort ont également été appréciés. Et puis, les compatriotes de Mouammar Kaddafi n'ont pas oublié qu'en 1986, à l'époque où il était le Premier ministre de François Mitterrand, son gouvernement s'était opposé au survol du territoire français par les chasseurs-bombardiers américains et britanniques qui s'apprêtaient à frapper leur pays.
Privé de bain de foule, Chirac a dû se contenter... d'une sévère bousculade, tant les responsables politiques et les journalistes étaient nombreux dans les décombres de la maison du « Guide », à la caserne de Bab el-Azizia. Détruit par les F-16 il y a dix-huit ans, l'édifice est depuis un lieu de passage protocolairement obligé pour tout visiteur de Kaddafi. Invité à signer le livre d'or, Chirac s'est contenté d'inscrire son nom et la date du jour, au grand désappointement des Libyens qui s'attendaient sans doute à davantage d'effusions.

Il ne s'est pas davantage hasardé à des commentaires sur la situation des droits de l'homme dans le pays ou le système politique libyen. Kaddafi lui avait pourtant tendu une perche en présentant ledit système « populaire » comme le successeur naturel du système républicain dont la Révolution française a été (avec l'américaine) la pionnière. À la caserne de Bab el-Azizia, face à la tribune officielle, deux panneaux avaient même été disposés. Le premier montrait les drapeaux français et libyen entremêlés, avec cette inscription en français et en arabe : « La rencontre des pionniers, 2004 ». Le second était une évocation de la prise de la Bastille. Mais rien n'y a fait, Chirac est resté coi. Quelques heures plus tard, lors du dîner officiel, il s'est borné à offrir à son hôte un « souvenir personnel » : les oeuvres complètes de Montesquieu, philosophe français du XVIIIe siècle qui aurait, paraît-il, nourri la pensée du « Guide » de la Jamahiriya.

Quelques heures avant l'arrivée de Chirac, Kaddafi, qui manque rarement l'occasion d'une provocation, avait confié au quotidien français Le Figaro que l'intervention de l'armée française en Côte d'Ivoire lui paraissait être une « erreur » et qu'il ne comprenait pas les raisons de la présence militaire française en Afrique. À Tripoli, on estime que le « Guide » cherchait surtout à obtenir de Chirac la reconnaissance de son rôle africain. Mais son interlocuteur s'est bien gardé de relever. À Paris, le porte- parole du gouvernement s'est borné à souligner que la France dispose en Côte d'Ivoire d'un mandat onusien. Et que l'Union africaine lui a apporté son soutien sans que la Libye s'y oppose. Lors de l'un de leurs entretiens, Chirac a quand même proposé à Kaddafi un « partenariat politique régulier », dans le cadre duquel pourraient être évoqués les crises africaines et le processus d'intégration euro-méditerranéen. Deux thèmes sur lesquels les deux pays semblent osciller entre rivalité et volonté de coopération.

Si le président français s'est montré très discret sur toutes les questions politiques, c'est que là n'était pas l'objectif de sa visite. Comme tous les dirigeants européens (britanniques, belges, espagnols et italiens) qui ont fait avant lui le déplacement de Tripoli, il était avant tout en voyage d'affaires. Son ambition : conquérir des parts de marché. Il est vrai que la France n'est que le sixième fournisseur de la Libye. Et que cette dernière, dont les recettes pétrolières atteindront cette année plus de 15 milliards de dollars, envisage d'investir quelque 30 milliards au cours des dix prochaines années. « Le moment est venu de redonner à la France les moyens de tenir sa place et son rang en Libye, de répondre aux attentes de nos partenaires et à vos propres attentes », a souligné Chirac devant les représentants de la communauté française en Libye.

À en juger par l'identité des chefs d'entreprise qui accompagnaient le président français, les secteurs d'activité prioritairement visés sont l'énergie, les infrastructures, les télécommunications, les transports, l'eau et l'environnement. Kaddafi a informé Chirac de son désir de développer le nucléaire civil. La France n'a pas exclu de coopérer à l'opération, à condition que le programme soit placé sous le contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Ce ne devrait pas être pour demain, à en juger par l'ampleur de la controverse suscitée par le nucléaire civil iranien.

Parmi les projets concrets actuellement à l'étude figurent ceux de Total, qui souhaite élargir ses activités dans le secteur pétrolier et doubler sa production dans un délai de cinq ans, d'Airbus, sur les rangs aux côtés de Boeing dans la course au renouvellement de la flotte aérienne libyenne, de Thales, intéressé par la couverture radar du pays et la surveillance des côtes, et de Lafarge, qui l'est par la privatisation du secteur cimentier.

Par ailleurs, après la levée de l'embargo sur les armes qui frappait la Libye depuis 1992, la France va-t-elle fournir à nouveau des Mirage à Tripoli et assurer la maintenance de ceux qu'elle lui a vendus dans les années 1970 ? La question a été évoquée. En présence de Kaddafi et de Chirac, le groupe Vinci a signé, le 24 novembre, un accord de coopération avec une entreprise libyenne qui va lui permettre de développer sa participation à la construction de la Grande Rivière artificielle. Elle y collabore déjà depuis deux ans.

« La Libye est un marché prometteur, il faut y investir », a estimé Chirac à l'issue d'une visite globalement positive. La preuve, le président français s'est entretenu à trois reprises avec Kaddafi, alors que deux rencontres étaient initialement prévues. Pourtant, la concurrence s'annonce rude pour la France, comme d'ailleurs pour l'Europe dans son ensemble. Les États-Unis sont en effet en passe de faire leur grand retour en Libye et devraient rapidement reprendre le contrôle de l'essentiel des ressources pétrolières. Ils disposent d'un atout important : une partie de l'entourage du Guide est tout acquise à leur cause.

Abdelaziz Barrouhi

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