LIBYE - 16 janvier 2005 - par
SAMIR GHARBI
Pourquoi
Tripoli a-t-il versé 10 millions de dollars aux victimes
de l'attentat contre l'avion de la PanAm et seulement 1 million
à celles du DC-10 d'UTA, demande par courriel Francis
Boussougouth.
Le règlement de l'affaire de l'attentat
contre l'avion de la PanAm qui a explosé le 21 décembre
1988 en faisant 270 morts (dont 11 habitants de Lockerbie) s'est
déroulé très différemment de celui
de l'affaire du DC-10 d'UTA dont l'explosion au-dessus du Ténéré
(Niger), le 19 septembre 1989, a provoqué 170 morts (tous
à bord de l'avion).
Les compensations financières payées dans les
deux cas par la Libye (respectivement 10 millions de dollars
et 1 million de dollars pour chaque victime) sont le résultat
de deux négociations particulières. La différence
de traitement ne s'explique ni par la « race » des
victimes (il y avait une vingtaine de nationalités dans
chaque avion), ni par le lieu du drame. Elle tient à
la procédure choisie par les parties en présence
(les familles des victimes) et au rôle joué par
les puissances tutélaires respectives, celles qui représentent
la nationalité de l'avion et la majorité des victimes,
les États-Unis et la France.
Les États-Unis ont, dès le départ, séparé
le procès des coupables et la compensation des victimes.
Ils ont mis tout leur poids et celui des Nations unies dans
la balance pour sanctionner la Libye afin qu'elle livre les
suspects à la justice écossaise (lieu du drame)
en vue de leur jugement sur un terrain neutre (il a été
offert par les Pays-Bas). Prise dans l'étau des sanctions
américaines et onusiennes, la Libye a donc fini par céder
: l'un des suspects a été condamné à
la prison à vie le 31 janvier 2001 (il purge sa peine
en Écosse). Mais le verdict n'a pas été
accompagné d'un quelconque dédommagement financier
des victimes.
Parallèlement, les familles des victimes ont déposé
une série de plaintes devant les tribunaux américains.
Leurs avocats ont été chargés, en marge
de la procédure judiciaire, de négocier avec les
autorités libyennes en vue de trouver deux accords amiables
(reconnaissance de la responsabilité civile de l'État
libyen et indemnisation pécuniaire). Ils ont été
fortement épaulés par le gouvernement américain.
Washington a ainsi mis dans la balance la levée de toutes
les sanctions américaines - y compris celles imposées
avant Lockerbie - et de toutes les sanctions onusiennes en échange
des deux accords. Tripoli a reconnu sa responsabilité
(dans une lettre adressée à l'ONU) en obtenant
la fin des poursuites judiciaires contre Mouammar Kaddafi en
personne et contre toute autre partie libyenne. Elle a accepté
pour cela le prix fort : 10 millions de dollars pour chaque
victime (2,7 milliards au total), dont 4 millions pour la levée
immédiate des sanctions onusiennes (2003), 4 autres millions
pour la levée des sanctions économiques américaines
(2004) et 2 autres pour la levée des sanctions politiques.
Autre caractéristique importante de la transaction de
Lockerbie, et dont les Libyens ont tenu compte dans l'affaire
du DC-10 : la rémunération des intermédiaires
qui ont servi dans la négociation (avocats et autres
conseillers) et les taxes versées au Trésor américain.
Cette ponction, très importante, n'a pas été
chiffrée. Mais on estime que la part nette revenant aux
ayants droit de chaque victime est de l'ordre de 2 à
3 millions de dollars.
La France a choisi en 1989 une autre procédure. Elle
n'a pas obtenu de sanctions internationales spécifiques
contre la Libye. Elle a, au contraire, opté pour la procédure
judiciaire et des sanctions limitées au niveau national
et européen. La plainte déposée en 1989
et l'enquête ont abouti à l'inculpation de six
suspects libyens (contre deux dans le cas de Lockerbie). Sans
exiger leur extradition, la France a accepté de les juger
par contumace. La cour d'assises de Paris les a condamnés
en 1999 à la réclusion à perpétuité
et au versement de dommages et intérêts aux parties
civiles : 210,8 millions de francs français (soit environ
35 millions de dollars à l'époque), dont 137,3
millions aux personnes morales. L'État libyen s'est empressé
de verser ces sommes, au grand dam des familles des victimes
qui voulaient poursuivre l'État libyen et obtenir l'extradition
des coupables. La France a préféré tourner
la page avec la Libye et reprendre le plus tôt possible
les relations économiques.
Face à cet abandon, un collectif représentant
la majorité des familles des victimes a décidé
de se battre pour obtenir un traitement proche de celui de Lockerbie
(voir J.A.I. n° 2296). Il est parvenu en 2002 à convaincre
la Libye (en la personne de Seif el-Islam Kaddafi) et le gouvernement
français de reprendre la négociation. Résultat
: l'accord signé à Paris le 9 janvier 2004 par
lequel la Libye reconnaît sa responsabilité civile
et accepte de verser 1 million de dollars par victime, en échange
de l'abandon de toutes nouvelles poursuites judiciaires - mises
à part celles liées à la procédure
déjà ouverte en 1989 et qui permettent d'y ajouter
près entre 4 000 et 40 000 dollars selon le lien de parenté.
À la différence de Lockerbie, le million de dollars
est net de toute commission d'avocats et de frais administratifs.
L'écart réel est donc de 1 à 3 au maximum
et non de 10. Sans la mobilisation des familles, il aurait été
de 1 à 300.