LIBYE - 18 septembre 2005
- par ÉLISE COLETTE
Aéroport international de N'Djamena,
14 heures. Météo favorable, temps dégagé.
« Mesdames et Messieurs, veuillez attacher vos ceintures.
» Le vol UT-772 de la compagnie française UTA,
spécialisée dans les liaisons africaines et asiatiques,
vient d'arriver de Brazzaville et, après une courte escale,
s'apprête à repartir vers sa prochaine étape
: Marseille, pour terminer sa course à Paris vers 20
h 30.
À 14 h 20, le décollage s'effectue normalement.
Rien à signaler. Parmi les 171 passagers, Mahamat Somahila,
ministre tchadien du Plan et de la Coopération, s'installe
pour les cinq heures de vol et prépare ses dossiers en
vue de l'assemblée mondiale du Fonds monétaire
international et de la Banque mondiale. Vers 15 heures, le contrôle
de Niamey s'inquiète : le DC-10 devait entrer en liaison
radio avec le Niger, qu'il est censé traverser avant
de survoler le ciel algérien. Mais la fréquence
reste muette. À Paris, on s'inquiète du silence
du pilote, pourtant instructeur chevronné. Quelques heures
plus tard, il faut se rendre à l'évidence. La
disparition de l'avion des écrans de contrôle n'est
pas due à une panne de radio.
En fin de journée, des cellules de crise se mettent
en place au Quai d'Orsay, puis un peu plus tard à Niamey
et à Alger. Le soir, un Transall de reconnaissance français
décolle de Dakar. Opérationnel au lever du jour,
et grâce à l'aide d'un satellite américain,
il découvre rapidement au Niger, à 650 kilomètres
au nord-ouest de la capitale tchadienne, dans le massif désertique
de Termit, l'épave du DC-10. Ou plutôt ce qu'il
en reste. Les enquêteurs comprennent l'enfer dans lequel
sont morts Mahamat Soumahila, mais aussi la femme de l'ambassadeur
des États-Unis au Tchad, l'épouse du capitaine
de l'équipe de France de tennis, deux évêques
suisses, les Tchadiens, Français, Congolais et autres
passagers. Les débris du DC-10 sont éparpillés
sur une superficie de presque 100 km2.
Dans l'après-midi arrivent les hélicoptères
transportant les 40 parachutistes de l'infanterie marine et
les équipes médicales. On échafaude les
premières théories. Une seule chose est sûre,
et le colonel Job, commandant des éléments français
au Tchad, le confirme aux familles des passagers : il n'y a
aucun survivant.
Au lendemain de la catastrophe, on pense déjà
à un attentat. L'accident matériel reste envisagé,
bien qu'UTA n'ait jamais connu d'accident et que le DC-10 ait
été bien entretenu, mais l'absence de traînée
au sol empêche d'envisager un crash. L'appareil a donc
explosé en vol. Serait-il possible que les 171 passagers
aient été victimes d'un nouveau Lockerbie ? L'attentat
du Boeing 747 de la PanAm qui avait explosé au-dessus
de la ville écossaise est récent (décembre
1988). Une bombe similaire aurait pu être déposée
dans la soute. Le 21 septembre, le porte-parole d'UTA précise
: « Nous avons pensé à Lockerbie depuis
le début, dès que nous avons perdu le contact.
Dans les deux cas, les avions venaient de faire une première
escale, venaient de redécoller et étaient à
leur altitude de croisière quand le désastre s'est
produit. » Au siège d'UTA en France, on y croit
de plus en plus. Des revendications sont reçues par téléphone
à Paris et à Londres au nom du Djihad islamique.
Même si les services de renseignements français
les jugent bidons, la DGSE recherche neuf passagers descendus
à l'escale de N'Djamena.
La découverte des boîtes noires, le 21, devait
aider à percer le mystère. Le 23 septembre, alors
qu'on les décrypte et que les parachutistes français
sont toujours en train de rassembler les cadavres en état
de décomposition avancée dans la fournaise du
désert nigérien, le parquet confie le dossier
du DC-10 d'UTA au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière.
En effet, l'analyse des débris a montré la présence
d'explosifs à bord (du Semtex, le même que pour
le vol de la PanAm). Il ne fait plus aucun doute qu'une bombe
a été déposée dans la soute.
Bien plus tard, des agents libyens seront identifiés,
accusés et condamnés par contumace. En janvier
2004, pour clore le dossier quinze ans après les faits,
la Jamahiriya libyenne accepte de verser 1 million de dollars
aux familles des victimes. D'autres parties civiles ont entre-temps
porté plainte et on attend en décembre la fin
du procès du DC-10 d'UTA.
Élise Colette