La tragédie des enfants contaminés
par le Sida ne devrait pas empêcher que justice soit faite.
(New York, le 15 novembre 2005) La Cour suprême de Libye
doit examiner les plaintes déposées pour torture
par six employés de santé étrangers, actuellement
condamnés à mort pour avoir injecté le
virus VIH à 426 enfants libyens, a déclaré
Human Rights Watch. La Cour révisera son jugement aujourd’hui
sur cette affaire.
Quatre des six défendeurs, cinq infirmières bulgares
et un docteur palestinien, ont rapporté à Human
Rights Watch, au mois de mai, qu'ils s'étaient confessés
après avoir enduré des actes de torture incluant
des coups, des chocs électriques et des agressions sexuelles.
Ils ont également déclaré que les autorités
libyennes leur avaient refusé tout contact immédiat
avec un avocat. En juin, un tribunal de Tripoli a acquitté
10 officiers de sécurité libyens, accusés
d'avoir utilisé la torture contre les défendeurs.
"Il existe de très sérieuses accusations
de torture à l'encontre de ces travailleurs médicaux
étrangers", a déclaré Sarah Leah Whitson,
Directrice de la division Moyen Orient et Afrique du Nord à
Human Rights Watch. "La Cour Suprême libyenne devrait
prendre ces faits en compte et rejeter les sentences de peines
de mort".
Aujourd'hui, la Cour suprême peut reconnaître les
condamnations à mort ou transférer l'affaire à
une cour subalterne. Elle peut aussi reporter la révision
de l'affaire, comme cela s’est déjà produit.
Les autorités libyennes ont arrêté ces Bulgares
et ce Palestinien en février 1999 et les ont accusés
d'avoir volontairement infecté 426 enfants avec le virus
du Sida. Les enfants étaient des patients de l'hôpital
pédiatrique al-Fateh de Benghazi. En mai 2004, un tribunal
de Benghazi a condamné les employés médicaux
à la mort par peloton d’exécution. Neuf
libyens qui travaillaient à l'hôpital ont été
acquittés.
Au moins 50 des enfants infectés sont morts et l'affaire
a profondément mis en colère le peuple libyen.
"La situation désespérée de ces enfants
innocents est une tragédie", a déclaré
Whitson. "Mais leur souffrance ne doit pas empêcher
que justice soit faite ou entraîner des abus supplémentaires".
Luc Montagnier, le co-découvreur du virus VIH, a attesté
lors du procès que les enfants avaient probablement été
infectés en raison des conditions d'hygiène déplorables
de cet hôpital, et que beaucoup de ces enfants devaient
déjà être contaminés avant l'arrivée
des employés médicaux en 1998.
Mais les experts médicaux libyens ont affirmé,
lors du réquisitoire, que ces infections étaient
la conséquence d'injections intentionnelles du virus
par ces travailleurs médicaux bulgares et palestiniens.
L’accusation indique que les accusés ont avoué
leurs crimes.
Quatre des employés médicaux ont déclaré
à Human Rights Watch que les enquêteurs les avaient
soumis à des chocs électriques, des coups portés
sur le corps avec des câbles électriques et des
bâtons en bois et sur la plante des pieds afin d'obtenir
leurs aveux. En mai dernier, Human Rights Watch a interviewé
les travailleurs médicaux étrangers à la
prison Jdeida de Tripoli.
"J'ai avoué sous la torture à l'électricité.
Ils disposaient des petits câbles sur mes doigts de pieds
et sur mes pouces. Quelquefois ils en mettaient un sur mon pouce
et un autre sur ma langue, mon cou ou mon oreille", a déclaré
Valentina Siropulo, une des accusées bulgares. "Ils
avaient deux sortes de machines, une avec une manivelle et une
avec des boutons".
Une autre défenderesse bulgare, Kristiana Valceva, a
déclaré que les interrogateurs utilisaient une
petite machine avec des câbles et une manette qui produisait
de l'électricité.
« Durant les chocs électriques et la torture, ils
me demandaient d’où venait le virus du Sida, et
quel était mon rôle, » a-t-elle confié
à Human Rights Watch. Elle a déclaré que
les interrogateurs libyens l’avaient soumise à
des chocs électriques sur ses seins et ses organes génitaux.
Mes aveux étaient entièrement en langue arabe,
et non traduits, » a-t-elle ajouté. « Nous
étions prêts a signer n’importe quoi juste
pour arrêter la torture. »
Les cinq infirmières bulgares sont détenues dans
une aile spéciale de la prison Jdeida, où elles
reçoivent maintenant les visites régulières
de leurs avocats et des officiers bulgares. Le docteur palestinien
Ashraf Ahmad Jum’a se trouve dans le quartier des hommes
de la prison, seul dans l’aile des condamnés à
mort.
« Nous avons subi une torture barbare et sadique pour
un crime que nous n’avons pas commis, » a déclaré
Jum’a à Human Rights Watch, durant une interview
donnée en présence d’un gardien de prison.
« Ils ont utilisé les chocs électriques,
les drogues, les corrections, les chiens de police, et la privation
de sommeil. »
« Se confesser était comme un examen à choix
multiples, et quand je donnais une mauvaise réponse,
ils me choquaient », a-t-il précisé. Il
a affirmé que les accusés étaient aussi
obligés de se choquer entre eux.
Human Rights Watch a également interviewé un des
dix fonctionnaires de la sécurité libyens jugés
en juin pour l’usage de la torture contre le personnel
de santé étranger. Jummia al-Mishri, enquêteur
crucial dans cette affaire et un des accusés de torture,
a insisté sur le fait que Jum’a avait avoué
volontairement. Il a affirmé que les enquêteurs
avaient trouvé deux bouteilles contenant le virus HIV
dans la maison de Kristiana Valcheva.
Al-Mishri a soutenu que les employés de santé
étrangers s’étaient plaints de torture trois
années après leurs arrestations, suggérant
qu’ils avaient inventé cela. Cependant, Jum’a
a appris à Human Rights Watch que lui et les autres accusés
s’étaient plaints de torture dès leur première
séance devant la cour en 2000, mais le juge avait alors
écarté leur plainte. La cour leur avait également
refusé un avocat jusqu’à leur première
séance devant le tribunal, ont ajouté les employés
de santé étrangers.
Le 7 juin, une cour de Tripoli a acquitté al-Mishri et
les neuf autres fonctionnaires de sécurité libyens
– sept policiers, un médecin et un traducteur –
accusés de torture sur le personnel sanitaire étranger.
L’affaire de Benghazi sur le Sida a atteint une importance
internationale. L’Union européenne et les États-Unis
ont entamé des négociations entre les gouvernements
libyen et bulgare. Les hauts fonctionnaires libyens ont suggéré
qu’ils pourraient pardonner les accusés si la Bulgarie
versait une compensation aux familles des victimes. Mais le
gouvernement bulgare a refusé l’offre car cela
impliquait d’admettre sa culpabilité.
Le 10 novembre, Seif al-Islam Qaddafi, le fils puissant du leader
libyen et le dirigeant de la Fondation Qaddafi, a déclaré
qu’il ne croyait pas à la culpabilité du
personnel médical. Sa fondation aide à assurer
aux accusés de meilleures conditions de vie en prison.
Human Rights Watch lance également un appel pour que
l’aide médicale soit poursuivie pour les enfants
libyens infectés par le virus du Sida. L’association
pour les enfants victimes du Sida de Benghazi a rapporté,
en mai dernier, que les 19 mères de ces enfants étaient
aussi atteintes par le virus.
« Dites au monde que ces enfants sont innocents et qu’ils
souffrent, » a déclaré Ramadan al-Faturi,
le porte-parole de l’association, à Human Rights
Watch. Il a exigé une meilleure formation pour les docteurs
libyens et un soutien psychologique pour les familles.