L'Express (Port Louis)
ACTUALITÉS
19 Novembre 2005
Publié sur le web le 21 Novembre 2005
Port Louis
La tragédie des enfants contaminés par le Sida
ne devrait pas empêcher que justice soit faite. La Cour
suprême de Libye doit examiner les plaintes déposées
pour torture par six employés de santé étrangers,
actuellement condamnés à mort pour avoir injecté
le virus VIH à 426 enfants libyens, a déclaré
«Human Rights Watch».
Quatre des six défendeurs, cinq infirmières bulgares
et un docteur palestinien, ont rapporté à Human
Rights Watch, au mois de mai, qu'ils s'étaient confessés
après avoir enduré des actes de torture incluant
des coups, des chocs électriques et des agressions sexuelles.
Ils ont également déclaré que les autorités
libyennes leur avaient refusé tout contact immédiat
avec un avocat. En juin, un tribunal de Tripoli a acquitté
10 officiers de sécurité libyens, accusés
d'avoir utilisé la torture contre les défendeurs.
«Il existe de très sérieuses accusations
de torture à l'encontre de ces travailleurs médicaux
étrangers», a déclaré Sarah
Leah Whitson, Directrice de la division Moyen Orient et Afrique
du Nord à Human Rights Watch. «La Cour Suprême
libyenne devrait prendre ces faits en compte et rejeter les
sentences de peines de mort».
Aujourd'hui, la Cour suprême peut reconnaître les
condamnations à mort ou transférer l'affaire à
une cour subalterne. Elle peut aussi reporter la révision
de l'affaire, comme cela s'est déjà produit. Les
autorités libyennes ont arrêté ces Bulgares
et ce Palestinien en février 1999 et les ont accusés
d'avoir volontairement infecté 426 enfants avec le virus
du Sida.
Les enfants étaient des patients de l'hôpital
pédiatrique al-Fateh de Benghazi. En mai 2004, un tribunal
de Benghazi a condamné les employés médicaux
à la mort par peloton d'exécution. Neuf libyens
qui travaillaient à l'hôpital ont été
acquittés. Au moins 50 des enfants infectés sont
morts et l'affaire a profondément mis en colère
le peuple libyen.
«La situation désespérée de
ces enfants innocents est une tragédie», a
déclaré Whitson. «Mais leur souffrance
ne doit pas empêcher que justice soit faite ou entraîner
des abus supplémentaires».
Luc Montagnier, le co-découvreur du virus VIH, a attesté
lors du procès que les enfants avaient probablement été
infectés en raison des conditions d'hygiène déplorables
de cet hôpital, et que beaucoup de ces enfants devaient
déjà être contaminés avant l'arrivée
des employés médicaux en 1998.
Mais les experts médicaux libyens ont affirmé,
lors du réquisitoire, que ces infections étaient
la conséquence d'injections intentionnelles du virus
par ces travailleurs médicaux bulgares et palestiniens.
L'accusation indique que les accusés ont avoué
leurs crimes.
Quatre des employés médicaux ont déclaré
à Human Rights Watch que les enquêteurs les avaient
soumis à des chocs électriques, des coups portés
sur le corps avec des câbles électriques et des
bâtons en bois et sur la plante des pieds afin d'obtenir
leurs aveux. En mai dernier, Human Rights Watch a interviewé
les travailleurs médicaux étrangers à la
prison Jdeida de Tripoli.
«J'ai avoué sous la torture à l'électricité.
Ils disposaient des petits câbles sur mes doigts de pieds
et sur mes pouces. Quelquefois ils en mettaient un sur mon pouce
et un autre sur ma langue, mon cou ou mon oreille»,
a déclaré Valentina Siropulo, une des accusées
bulgares. «Ils avaient deux sortes de machines, une
avec une manivelle et une avec des boutons».
Deux bouteilles contenant le virus
Une autre défenderesse bulgare, Kristiana Valceva, a
déclaré que les interrogateurs utilisaient une
petite machine avec des câbles et une manette qui produisait
de l'électricité.
«Durant les chocs électriques et la torture,
ils me demandaient d'où venait le virus du Sida, et quel
était mon rôle,» a-t-elle confié
à Human Rights Watch. Elle a déclaré que
les interrogateurs libyens l'avaient soumise à des chocs
électriques sur ses seins et ses organes génitaux.
«Mes aveux étaient entièrement en langue
arabe, et non traduits,» a-t-elle ajouté.
«Nous étions prêts a signer n'importe
quoi juste pour arrêter la torture.» Les cinq
infirmières bulgares sont détenues dans une aile
spéciale de la prison Jdeida, où elles reçoivent
maintenant les visites régulières de leurs avocats
et des officiers bulgares. Le docteur palestinien Ashraf Ahmad
Jum'a se trouve dans le quartier des hommes de la prison, seul
dans l'aile des condamnés à mort.
«Nous avons subi une torture barbare et sadique pour
un crime que nous n'avons pas commis,» a déclaré
Jum'a à Human Rights Watch, durant une interview donnée
en présence d'un gardien de prison. «Ils ont
utilisé les chocs électriques, les drogues, les
corrections, les chiens de police, et la privation de sommeil
(...) Se confesser était comme un examen à choix
multiples, et quand je donnais une mauvaise réponse,
ils me choquaient», a-t-il précisé.
Il a affirmé que les accusés étaient aussi
obligés de se choquer entre eux.
Human Rights Watch a également interviewé un
des dix fonctionnaires de la sécurité libyens
jugés en juin pour l'usage de la torture contre le personnel
de santé étranger. Jummia al-Mishri, enquêteur
crucial dans cette affaire et un des accusés de torture,
a insisté sur le fait que Jum'a avait avoué volontairement.
Il a affirmé que les enquêteurs avaient trouvé
deux bouteilles contenant le virus HIV dans la maison de Kristiana
Valcheva.
Al-Mishri a soutenu que les employés de santé
étrangers s'étaient plaints de torture trois années
après leurs arrestations, suggérant qu'ils avaient
inventé cela. Cependant, Jum'a a appris à Human
Rights Watch que lui et les autres accusés s'étaient
plaints de torture dès leur première séance
devant la cour en 2000, mais le juge avait alors écarté
leur plainte. La cour leur avait également refusé
un avocat jusqu'à leur première séance
devant le tribunal, ont ajouté les employés de
santé étrangers.
Pardonner les accusés
Le 7 juin, une cour de Tripoli a acquitté al-Mishri
et les neuf autres fonctionnaires de sécurité
libyens - sept policiers, un médecin et un traducteur
- accusés de torture sur le personnel sanitaire étranger.
L'affaire de Benghazi sur le Sida a atteint une importance
internationale. L'Union européenne et les États-Unis
ont entamé des négociations entre les gouvernements
libyen et bulgare. Les hauts fonctionnaires libyens ont suggéré
qu'ils pourraient pardonner les accusés si la Bulgarie
versait une compensation aux familles des victimes. Mais le
gouvernement bulgare a refusé l'offre car cela impliquait
d'admettre sa culpabilité.
Le 10 novembre, Seif al-Islam Qaddafi, le fils puissant du
leader libyen et le dirigeant de la Fondation Qaddafi, a déclaré
qu'il ne croyait pas à la culpabilité du personnel
médical. Sa fondation aide à assurer aux accusés
de meilleures conditions de vie en prison.
Human Rights Watch lance également un appel pour que
l'aide médicale soit poursuivie pour les enfants libyens
infectés par le virus du Sida. L'association pour les
enfants victimes du Sida de Benghazi a rapporté, en mai
dernier, que les 19 mères de ces enfants étaient
aussi atteintes par le virus.
Source : Human Rights Watch