Afrique du
Nord
Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires
étrangères, a rendu visite aux prisonnières
avant d'êter reçu par le président libyen
Muammar Khadafi.
Pierre Prier
[06 janvier 2006]
LE MINISTRE des Affaires étrangères
est venu leur apporter sa solidarité. Les infirmières
bulgares et le médecin palestinien détenus en Libye
lui crient leur désespoir.
«Depuis sept ans nous savons que nous
sommes les otages d'une chasse aux sorcières politique.
On nous fait des promesses, on nous dit qu'on travaille pour nous,
mais il n'y a aucun résultat. Nous ne sommes que des gens
ordinaires pris dans une sale histoire», dit en anglais
Kristiana Vulcheva, au bord des larmes, à Philippe Douste-Blazy.
La rencontre se déroule dans une petite
pièce aux murs nus dans un pavillon neuf construit au milieu
de la prison de Tripoli.
Le ministre des Affaires étrangères, en visite éclair
en Libye, répète aux prisonniers ce qu'il est venu
dire aux autorités. «J'ai présenté
à la Libye un plan français dans le cadre de celui
de l'Union européenne. J'espère que votre cauchemar
touche à sa fin.»
Mais le mauvais rêve dure toujours pour les six prisonniers.
La Cour suprême vient d'annuler leur condamnation à
mort. Les praticiens étaient accusés d'un crime
absurde : avoir volontairement inoculé le sida à
plus de 400 enfants de l'hôpital pédiatrique de Benghazi.
Des aveux extorqués sous la torture selon une enquête
du Conseil de l'Europe qui, avec le reste de la communauté
internationale, a dénoncé la recherche par la Libye
d'un bouc émissaire face aux manquements de son système
de santé. Mais la procédure recommence de zéro
et les six praticiens pourraient rester encore de longs mois en
prison, sans garantie d'une issue heureuse. Dans la petite pièce
de la prison de Tripoli, l'ambiance est tendue. Philippe Douste-Blazy
ne peut qu'apporter un soutien moral aux prisonniers. Le seul
fait qu'un ministre français ait pu les rencontrer avec
plusieurs journalistes est déjà un bon signe. «Je
suis heureux qu'on m'ait permis d'être le premier ministre
occidental à vous voir», dit-il aux infirmières.
Mais sur les chaises en plastique, les visages sont las, les yeux
battus, les épaules affaissées. «Nous
sommes exténuées. Psychologiquement, nous n'allons
pas bien du tout, poursuit Kristiana. Vous avez vu que nous ne
sommes que quatre. La cinquième n'a pas pu venir. Elle
est malade, épuisée, elle n'a plus de force.»
Un plan européen
Soudain un jeune homme vêtu d'une parka
et d'une chemise à carreaux, au collier de barbe bien taillé,
aux cheveux noirs plaqués en arrière, au teint cireux,
apparaît au milieu des policiers. Les infirmières
se jettent à son cou. C'est Ahmed Achraf al-Hadjoudj, le
médecin palestinien détenu dans une autre partie
de la prison. Lui aussi se montre revendicatif : «Nous
sommes des victimes tout comme les enfants contaminés»,
dit-il au ministre français.
Ces enfants, Philippe Douste-Blazy devaient les visiter dans l'après-midi,
à l'hôpital de Benghazi. Le ministre a déclaré
souhaiter la libération des infirmières. Mais il
a bien dit le matin, à son homologue libyen, Abderrahmane
Chalgham, qu'il «n'avait évidemment pas à
donner son sentiment sur un jugement» et qu'il «savait
bien que les familles avaient le sentiment d'une injustice, et
que cette injustice demandait réparation».
Le plan français est un volet du plan européen qui
a offert une aide aux enfants contaminés et au système
de santé libyen, dans l'espoir d'aider au déblocage
de la situation. La France aidera l'hôpital pédiatrique
de Benghazi. Elle formera du personnel et fournira du matériel.
Douste-Blazy a aussi annoncé son offre de soigner en France
les plus atteints des jeunes malades, «vingt, vingt-cinq,
trente, trente-cinq, ce sera à eux de décider.»
Les hôpitaux parisiens Trousseau, Saint-Antoine, Necker
et Robert-Debré recevront les malades. Le groupe hôtelier
Accor représenté dans la délégation
prendra en charge les familles. La Libye a accueilli favorablement
ces propositions. Mais elle s'en tient à la ligne officielle,
selon laquelle c'est à la justice de trancher. Parallèlement,
des négociations ardues sont toujours en cours entre la
Libye, l'Union européenne, la Bulgarie, la Grande-Bretagne
et les Etats-Unis pour trouver, peut-être, un compromis.
La création récente d'une ONG bulgare ayant vocation
d'indemniser les victimes laisse entrevoir une solution. Mais
les discussions achoppent toujours sur les montants à verser.
Quant aux malheureux otages, ils ignorent toujours si leur innocence
sera reconnue. Le régime carcéral des infirmières
s'est amélioré. Mais le ministre parti, les portes
de la prison se sont refermées sur leur désespoir.
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