victimes attentat

(dimanche 25 mars 2007)

Dans le désert du Ténéré


LIBYE - 25 mars 2007 - par PAR EMMANUELLE DENOIX DE SAINT MARC*

Pour la première fois, depuis le 19 septembre 1989, des parents des victimes de l’attentat contre le DC10 d’UTA se sont rendus sur le lieu du drame, au Ténéré, le grand désert nigérien. L’avion a explosé en plein ciel - une valise piégée expédiée par les services secrets libyens - faisant 170 victimes. Un mémorial sera dressé sur le « sanctuaire ».

Départ de Paris le 28 février pour Niamey, capitale du Niger. Il est 16 heures quand nous survolons le Ténéré, nous n’avons jamais été aussi proches de l’endroit du crash, l’émotion est grande, des larmes perlent. Depuis maintenant dix-sept années, nous attendons de rejoindre ce lieu où sont morts nos proches, Jean-Henri, mon beau-père, père de Guillaume Fleury, le frère de Pierre-François Ikias et Alain, le mari de Caroline Bricout. Francis Conty, médecin, et Jérôme Carret, réalisateur du documentaire sur cette expédition, nous accompagnent.

Le lendemain, nous partons pour Agadez et le désert du Ténéré, plus précisément au massif de Termit, accompagnés de nos guides touaregs, Akly Joulia à leur tête. Une expédition de trois jours avant « la rencontre » avec le premier point d’impact de l’avion. Il est midi, Akly repère le premier morceau de la carlingue, nous sautons des 4x4 plus que nous n’en descendons, nous tenons entre les mains tour à tour le premier morceau, un petit carré de 30 cm, très léger et alvéolé. Plus loin, c’est un morceau du revêtement intérieur de la cabine, aux fines rayures bleues sur fond blanc. Au troisième arrêt, un bout de métal apparaît, noir, arrondi et très lourd. Les débris sont éparpillés sur une dizaine de kilomètres?à la ronde. Il est 13 heures, nous nous arrêtons au bord d’une immense cuvette naturelle contenant d’énormes morceaux de l’avion.

La gorge serrée, nous dévalons la pente pour toucher une masse noire métallique et rectangulaire, entourée de canettes de soda et d’autres objets noircis par le temps. Nous découvrons une citerne de l’armée qui a dû servir lors de l’évacuation des corps en septembre 1989. Il n’y a pas de vent, il fait très chaud, la température monte… Nous approchons, comme si nous étions aimantés, d’une partie du fuselage, l’arrière de l’appareil avec son empennage bleu aux couleurs d’UTA, enfoncé en partie dans le sable. À côté, se trouvent le capot vide du réacteur, déformé par l’explosion, et une aile brisée du DC10. Plus loin, une plaque bleutée d’une douzaine de mètres. Redressée, elle fera partie du mémorial que nous envisageons d’ériger sur cette place.

Il est 15 heures, la déshydratation se fait sentir et l’insolation pointe, nous avons marché deux heures au soleil. Mais nous apercevons un autre impact, l’endroit où est tombée la partie centrale de la carlingue. Tout est brûlé, tordu, le métal ayant fondu comme du plastique… Nous marchons au milieu de débris épars, boucles de ceinture, cendriers, valises, chaussures, vêtements, jouets. Nous sommes partagés entre l’envie de tout emporter et celle de ne rien toucher. Nous réalisons alors la violence et l’enfer de l’explosion.

Nous trouvons enfin l’aileron du DC10 ainsi que le sigle UTA ensablé que nous dégageons immédiatement, le U et les trois ailettes de la défunte compagnie apparaissent entiers. Incapables de parler, anéantis mais émus, nous rentrons à notre campement. Nous reviendrons le lendemain, dans l’intimité, sur ce lieu baptisé le « sanctuaire » enterrer des photos, des lettres et des objets pour nos parents disparus.

Le désert est propice au silence et à la méditation, les jours suivants seront plus calmes, la tension redescend progressivement… Accompagnés de nos amis touaregs qui, à l’image du désert, nous ont accompagnés silencieux et discrets, nous reprenons le chemin de la vie plus forts et apaisés. Demain, dans quelques mois, nous bâtirons ici, sur un immense plateau de sable fin et blanc situé en hauteur, le Mémorial des 170 victimes** de l’attentat.


* Épouse de Guillaume Denoix de Saint Marc, auteur de Mon père était dans le DC10 (éd. Privé, Paris 2006, 340 pages).

** Dix-huit nationalités : 54 Français, 48 Congolais, 25 Tchadiens, 9 Italiens, 7 Américains, 5 Camerounais, 4 Britanniques, 3 Congolais (RDC), 3 Canadiens, 2 Centrafricains, 2 Maliens, 2 Suisses, 1 Algérien, 1 Belge, 1 Bolivien, 1 Grec, 1 Marocain et 1 Sénégalais.


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