PIERRE
PRIER.
Publié le 30 mars 2007
Les familles des victimes
de l'attentat du DC10 d'UTA au-dessus du désert du Ténéré,
en 1989, viennent de retourner sur les lieux du drame où
elles ont décidé d'ériger un monument. Dix-sept
ans après, l'émotion est intense.
C'est Akly Joulia, le guide franco- touareg, qui a repéré
le premier signe au bord de la route. Invisible, sauf pour son
oeil de pisteur doublé d'un pilote d'avion : un élément
plat de trente centimètres, dont la couleur se confondait
avec le sable. Une structure pleine d'alvéoles, comme un
nid d'abeilles. Le premier débris du vol Brazzaville-N'Djamena-Paris
d'UTA, le DC10 foudroyé en plein air par une bombe au-dessus
du désert du Ténéré, le 19 septembre
1989. Akly a fait arrêter les 4 x 4. « On a été
pris par surprise, on s'est dit : ça y est, on y est déjà
», raconte Guillaume Denoix de Saint-Marc. Devant lui,
étalées sur la table de la salle à manger
de son appartement parisien, quelques reliques : un bout de ceinture
de sécurité de couleur bleue, des pièces
de métal fondues au-delà de toute forme reconnaissable,
piquetées de ce que le médecin de l'expédition
lui a dit être des cendres humaines. Le pèlerinage
a vraiment commencé là, avec la découverte
du fragment de structure aéronautique. À quinze
kilomètres du lieu du crash, le passé devenait présent.
La violence de l'attentat, qui éparpilla dans le ciel les
170 passagers, s'incarnait soudain pour Guillaume, pour son épouse
Emmanuelle, pour le Congolais Pierre-François Ikias, et
pour Caroline Bricourt. Guillaume était venu au nom de
son père, Jean-Henri, directeur de Total Afrique ; Pierre-François,
de son jeune frère Fleury, qui s'était embarqué
pour des études en France. Caroline, pour son mari Alain,
le mécanicien naviguant. Ils sont rentrés la semaine
dernière de ce voyage en forme d'épilogue, pour
écrire le mot « fin » au bas d'une histoire
qui leur a pris dix-sept ans de leur vie. Des années de
deuil, puis de lutte pour rassembler les familles de 18 nationalités
différentes, à négocier pied à pied
avec la Libye, au cours de milliers d'heures de tractations avec
Seif el-Islam, le fils du colonel Kadhafi. Pour que la Fondation
Kadhafi accepte enfin de verser un million de dollars par mort.
Le dossier a été quasiment bouclé, l'argent
versé par la Libye en 2006, et presque entièrement
distribué aux ayants droit. Il restait à revenir
au point de départ. À ces quelques kilomètres
carrés de désert où reposent les débris
de l'avion.
L'association des victimes de l'attentat du
DC10 y a envoyé Guillaume, son premier président,
et ses compagnons pour préparer la construction d'un monument
si grand qu'on le verra du ciel. Le voyage les a confrontés
avec la réalité. C'était la première
fois qu'ils allaient voir et toucher la mort des leurs. Le DC10
est tombé à l'endroit le plus désert du désert
du Ténéré, au nord-ouest du massif de Termit,
à 400 kilomètres de la première ville, un
lieu où personne ne va. Le voyage leur a pris trois jours,
à partir d'Agadez, au nord du Niger. C'est le troisième
jour que tout a changé, avec l'apparition du premier morceau
de l'avion. L'horreur s'installait par degré. «
Ce deuxième débris était fait de la même
matière que le premier, mais sur une face, il y avait,
collé, un morceau du revêtement intérieur
de l'avion. Le dedans et le dehors. On avait l'impression d'être
du côté des passagers », se souvient Guillaume.
Leur chemin s'arrête de nouveau à 5 kilomètres
du point d'impact, où ils trouvent une grosse pièce
de fonte avec des traces de peinture jaune. Puis, de plus en plus
de débris, « de l'aluminium froissé comme
du papier ». Le 3 mars, les voitures s'arrêtent
sur un promontoire sablonneux. Akly fait descendre les passagers
et reculer les 4 x 4. Sur le bord de la cuvette, une masse tordue
: une partie du réacteur arrière, plantée
dans le sable. Ils ne voient pas l'avion, mais les relevés
GPS leur disent qu'il est là, plus loin. Ils se mettent
à marcher. « Ni la chaleur, ni la fatigue ne
nous arrêtent, note Emmanuelle dans son journal. On ne se
parle pas. On marche le plus vite possible. » Ils n'ont
pas emporté d'eau, il fait plus de 40 degrés. Ils
marchent. Apparaît dans le sable un morceau de l'arrière
de l'appareil, portant encore la couleur bleue d'UTA. À
côté, un capot de réacteur. L'aile droite.
« Premier réflexe : on tente de la relever, mais
c'est beaucoup trop lourd ». Le plus dur reste à
faire. Le soir, retour en voiture vers le deuxième site,
atteint à la nuit tombée. Dix-sept ans après,
c'est comme si le crash venait d'avoir lieu. « On trouve
un bout de jouet, la main d'un personnage en plastique. Des boucles
de ceinture, des débris de valises, de cadenas, une bobine
de film tordue, un lambeau de vêtement. On erre parmi tout
cela comme des somnambules.» Ils sont « partagés
entre l'envie de tout prendre et celle de ne rien toucher ».
Ils trouveront aussi un reste de crâne humain qu'ils enterreront.
Ils sont près de l'endroit principal de l'impact. Là
où est enfouie, à fleur de sable, la partie centrale
du DC10. L'avant, scindé en deux, avait été
récupéré et envoyé à Paris
pour expertise, les corps recueillis par les militaires français
et nigériens. Le centre de l'appareil a brûlé
entièrement au sol. Ceux qui s'y trouvaient n'ont pas eu
de sépulture. Leurs corps se sont fondus dans le métal
jusqu'à en faire partie. Ce fut le cas de Fleury, le jeune
frère de Pierre-François Ikias. « Je m'étais
dit que je supporterais le choc, mais j'ai été sonné,
raconte-t-il. La colère est montée. Colère
contre les Libyens qui ont fait cela. » Colère
aussi chez les autres. Le temps passé depuis l'explosion
est aboli. « On ressent l'enfer. Nous sommes anéantis
par la violence de l'événement. Il nous est impossible
de pleurer », note Emmanuelle. Le surlendemain, au
matin, ils reviennent seuls sur le site, sans les chauffeurs,
sans le médecin et le réalisateur qui les ont accompagnés
depuis Paris. « Nous avons prié. Nous avons enterré
sur place des messages pour nos morts. Des lettres qui leur parlaient
de notre vie. Des photos des enfants nés depuis. »
Et l'apaisement est venu. « Nous avons enfin pu tourner
la page », raconte Pierre-François.
Le voyage du retour se fera dans la sérénité.
Ils prendront le temps de parler avec des bergers de rencontre.
Ils ont aussi choisi le lieu où ils érigeront le
monument : l'aile droite, redressée et plantée dans
le sol, sur laquelle seront gravés les noms de chacune
des victimes. Tout autour, une silhouette grandeur nature du DC10,
apparaissant sur un fond circulaire de pierres noires de la région,
qu'il faudra aller chercher à 60 kilomètres. Autour
du cercle, des miroirs seront enchâssés dans un muret
et cassés, pour renvoyer l'éclat du soleil dans
toutes les directions. Le chantier devrait durer un mois. L'association
espère le terminer avant le 18e anniversaire, le 19 septembre.
Et inviter à l'inauguration les militaires français
et nigériens qui ont eu la terrible tâche d'évacuer
les corps, il y a dix-sept ans.
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