victimes attentat

victimes attentat
(Dimanche 23 mars 2003)

Le syndrome irakien.

Si Kaddafi lâche du lest dans le règlement de l'affaire de Lockerbie,
c'est qu'il redoute d'être la prochaine cible de George W. Bush.

Mouammar Kaddafi est convaincu d'être, après Saddam Hussein, l'une des prochaines cibles de George W. Bush (voir J.A.I. n° 2200). Mais il s'efforce de retourner la situation en sa faveur. Tout en dénonçant la volonté dominatrice des États-Unis, notamment lors de son dernier périple africain (Niamey, Bamako, et Ouagadougou), du 14 au 18 mars, il multiplie les opérations de charme. Son meilleur atout est sans doute... les compagnies pétrolières américaines. Depuis leur départ forcé, en 1981, celles-ci n'ont en effet jamais renoncé à revenir en Libye, où le pétrole est abondant et facile à extraire, donc peu onéreux.
Sauf retournement de situation imprévisible, tout semble indiquer que la « guerre » qui oppose les deux pays depuis trente ans (voir encadré) est en voie de règlement, dès lors que le principal point du contentieux - l'attentat de Lockerbie, en 1988 - l'est aussi. Jim Swire, le porte-parole des victimes, l'a confirmé, le 11 mars : les deux parties « semblent être parvenues à un accord ». Le même jour, des négociations secrètes avaient eu lieu, à Londres, entre William Joseph Burns, l'adjoint au secrétaire d'État américain, et Mohamed el-Zwaï, l'ambassadeur de la Jamahiriya au Royaume-Uni... Autre signal encourageant : la lettre adressée par Seïf el-Islam Kaddafi à Chas W. Freeman Jr., un ancien secrétaire adjoint à la Défense (1993-1994) qui préside aujourd'hui le Middle East Policy Council (voir J.A.I. n° 2201). Le fils du Guide, qui a accepté que son texte soit publié dans la revue trimestrielle de ce think-tank, y dresse le bilan des tumultueuses relations américano-libyennes depuis 1969. Comme si la « hache de guerre » était sur le point d'être enterrée... Il explique les affrontements du passé par la fougue révolutionnaire de son père, exacerbée par le quadruplement des revenus pétroliers (1973), la lutte contre le colonialisme (Kaddafi a aidé d'innombrables mouvements de libération, en Afrique et ailleurs) et la guerre froide, et confirme l'abandon définitif du terrorisme et la volonté libyenne de renouer avec le « grand frère » américain.

Reprenant à son compte une proposition avancée le 11 mars à Londres, le successeur présumé du Guide de la Jamahiriya annonce la création d'un « fonds de la paix » doté d'un capital de départ de 2,7 milliards de dollars, somme versée par le gouvernement libyen sur un compte bancaire, dans un pays neutre. Plusieurs compagnies libyennes et américaines devraient être associées à l'opération, destinée à indemniser les 270 victimes (dont 189 américaines) de l'attentat de Lockerbie.

En mai 2002, le gouvernement libyen s'était déjà engagé à verser 10 millions de dollars à chaque ayant droit, mais en trois tranches et selon un calendrier compliqué : 4 millions après la levée définitive des sanctions onusiennes, 4 millions après l'annulation des sanctions américaines et 2 millions après la radiation de la Libye de la liste des « États soutenant le terrorisme ». Il ne s'agissait en outre que d'une promesse : les familles des victimes n'avaient aucune garantie quant au versement des deux dernières tranches. Le gouvernement américain a donc refusé de s'engager sur une date. Pis encore, George W. Bush a froidement reconduit les sanctions et exigé de l'État libyen une reconnaissance écrite de sa responsabilité dans l'attentat.

La proposition rendue publique par Seïf el-Islam apporte une nouveauté importante : la Libye admet enfin « sa responsabilité civile ». En d'autres termes, elle reconnaît l'implication de « citoyens libyens », mais pas celle du gouvernement. C'est parce que l'un de ses ressortissants a été reconnu coupable et condamné qu'elle accepte de verser des compensations financières aux familles des victimes, dans l'espoir, précise Kaddafi Jr., de mettre un terme à « cette pénible affaire ».

Le projet d'accord mis au point par William Burns et Mohamed el-Zwaï entérine le principe de cette compensation et en facilite l'exécution : le paiement se fera en deux tranches de 5 millions de dollars, l'une après la levée des sanctions onusiennes, l'autre après celle des sanctions américaines. En échange de la reconnaissance explicite de la responsabilité civile libyenne, les États-Unis et les ayants droit des victimes s'engagent pour leur part à renoncer à toute espèce de poursuite judiciaire. Par ailleurs, Seïf el-Islam espère le rétablissement de relations diplomatiques normales entre les deux pays (interrompues en 1981). Devançant les voeux des Américains, il va jusqu'à leur proposer de venir vérifier sur place - à Rabta, Tarhouna ou ailleurs - l'absence de toute arme de destruction massive.

Colin Powell, le secrétaire d'État américain, reste néanmoins très circonspect. Le 19 mars, il a estimé que « les négociations sont encore délicates ». Selon lui, aucune normalisation n'est envisageable avant la destruction par la Libye de ses armements chimiques et biologiques.

Samir Gharbi

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