victimes attentat

(mercredi 03 décembre 2003)

Chassé-croisé diplomatique au Maghreb

Les visites de Powell et de Chirac illustrent la rivalité américano-européenne dans la région.

Par Jose GARÇON

Le Maghreb est décidément très courtisé : le secrétaire d'Etat américain Colin Powell entamait hier une tournée éclair en Tunisie, Maroc et Algérie, alors que Jacques Chirac arrive aujourd'hui en visite officielle à Tunis où se réuniront, vendredi et samedi, les dirigeants de la Méditerranée occidentale ­ rives nord et sud ­ pour le «Dialogue 5+5». Eclipsant quelque peu ce premier sommet France, Espagne, Italie, Portugal, Malte, Algérie, Maroc, Tunisie, Libye et Mauritanie, le chassé-croisé illustre la rivalité qui oppose, au Maghreb, les Américains aux Européens, Français particulièrement. Jusqu'ici, Washington, en dépit de ses intérêts et de son «alliance stratégique» avec un certain nombre de pays de la zone, comme le Maroc, s'impliquait peu dans une région historiquement tournée vers l'Europe du Sud. Mais depuis le 11 septembre, les Etats-Unis ne cachent plus leur volonté d'y être plus présents, cherchant notamment de nouveaux débouchés pour leurs produits à travers la perspective d'une zone de libre-échange avec le Maghreb dit «central» (Algérie, Maroc, Tunisie), plus l'Egypte. Ainsi, un mois avant le sommet «5+5», le sous-secrétaire d'Etat, William Burns, installait en Tunisie un «bureau régional pour la mise en oeuvre de l'initiative du partenariat entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient». Au Maroc, la négociation d'un accord de libre-échange avec les Américains cristallise cette rivalité.

Dans ce contexte, le voyage de Jacques Chirac à Tunis ne fait pas que clore le cycle de visites d'Etat au Maghreb, commencé avec l'Algérie, en mars, et le Maroc, en octobre. Il vise à conforter l'arrimage du Maghreb à l'Union européenne qui privilégie l'encadrement et l'assistance financière, le secteur privé et les échanges intrarégionaux. Paris y voit le gage d'une «stabilité géopolitique vitale face à la montée de l'islamisme et de ses ramifications terroristes».

Le principal gagnant risque d'en être le chef de l'Etat tunisien Zine Ben Ali, en dépit de son bilan désastreux en matière de droits de l'homme, et de la mainmise policière et judiciaire qu'il a imposée sur la société (lire encadré). «Ses succès économiques et sociaux ouvrent la voie au renforcement de l'Etat de droit», a plaidé, hier, l'Elysée, moins dans l'espoir d'être entendu par Tunis que pour se dédouaner de soutenir un Ben Ali qui s'est donné les moyens constitutionnels ­ et administratifs ­ d'être président à vie, élu à 99 %. Cette volonté de Paris de ne jamais aborder les sujets qui fâchent avec Tunis, et plus encore avec Alger, risque de trancher avec le discours sur la «démocratisation» du Proche et Moyen-Orient, développé par Washington, et que Colin Powell a annoncé vouloir tenir au Maghreb.

Reste le forum «5+5». «Au-delà de la symbolique d'une première rencontre des chefs d'Etat, il risque d'être bloqué à la fois par les divergences intermaghrébines et intereuropéennes», estime un diplomate européen. Alger et Rabat s'opposent en effet sur l'interminable conflit du Sahara-Occidental qui empêche toute construction d'un «Grand Maghreb». Mohammed VI et Abdelaziz Bouteflika se rencontreront-ils en marge du sommet ? Cela aurait de toute façon peu de résultats concrets. Car, nul en Algérie n'est en mesure d'imposer un règlement du conflit saharien, compte tenu des luttes de clans féroces à l'approche de la présidentielle d'avril 2004. Côté européen, les divergences sur cette affaire sont tout aussi paralysantes : Paris soutient la position marocaine, tandis que Madrid appuie fermement Alger, avec la bénédiction de Washington. Dans ce contexte, le «5+5» devrait surtout être dominé par un autre problème sensible : l'immigration clandestine. Les pays du Maghreb, par où transitent les Subsahariens qui fuient conflits et misère en Afrique, souhaitent une politique européenne «plus cohérente», une «solidarité active» entre les deux rives de la Méditerranée et plus d'aide au développement. Du coup, seul un «geste» de Kadhafi, au moment où la France attend toujours de Tripoli une indemnisation des familles des victimes de l'attentat du DC-10 d'UTA, pourrait créer une surprise... Et une rencontre avec Chirac. L'Elysée a réaffirmé, hier, que la Libye s'est engagée «au plus haut niveau» sur cette indemnisation.

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